​De traducteur à passeur culturel
La Chine au présent 2024-02-02 14:07:12

Version française du livre Le flot de la poésie continuera de couler 

Le 27 décembre 2023, juste avant la nouvelle année, un dialogue a eu lieu au Salon de la Littérature Mondiale, en plein cœur de Nanjing, reconnue comme la « capitale de la littérature mondiale » par l’UNESCO. Les participants étaient Jean-Marie Gustave Le Clézio, lauréat du Prix Nobel de littérature en 2008, Bi Feiyu, célèbre romancier chinois et lauréat du Prix Mao Dun (équivalent du Prix Goncourt en France) et moi-même, en tant que traducteur littéraire, animateur et co-auteur, avec M. Le Clézio, d’un livre sur la poésie Tang, publié en France et en Chine.

Ce dialogue, centré sur la poésie Tang et la traduction, a été coorganisé par la maison d’édition Littérature du peuple et l’Association des traducteurs de Chine. Il s’inscrit dans une série de dialogues intitulée « Traduire la Chine et embrasser le monde ».

La traduction au service de la culture

Il est indéniable que les traducteurs jouent un rôle crucial dans le rapprochement des cultures. Cependant, pour devenir un véritable passeur de culture, un traducteur peut et doit faire plus. Les Français connaissent bien le travail de François Cheng, un membre éminent de l’Académie française. Il est connu pour une série de livres sur la poésie chinoise Tang et l’esthétique chinoise classique. Ses réflexions sur « le vide et le plein » sont un outil précieux pour comprendre la culture chinoise classique. Mais M. Cheng est plus qu’un traducteur, il est aussi poète et romancier, et son roman Le Dit de Tianyi, qui retrace la vie d’un artiste chinois au cours du XXe siècle, a connu un immense succès. Il y a deux mois, j’ai reçu une lettre manuscrite de sa part, me félicitant pour Le flot de la poésie continuera de couler, le livre que j’ai coécrit avec M. Le Clézio, qu’il a qualifié de « remarquable », et dont la lecture est un « enchantement ». Qu’est-ce qui a pu intéresser un tel érudit dans ce livre au point qu’il m’a envoyé une lettre de félicitations par la poste internationale ?

En fait, Le flot de la poésie continuera de couler offre une nouvelle interprétation de la poésie Tang, écrite par un grand écrivain français en collaboration avec un homme de lettres chinois. Ce livre est le fruit d’une longue amitié. Nous nous sommes rencontrés lorsque j’étais encore étudiant à Paris et depuis, notre amitié n’a jamais été démentie. Il y a une dizaine d’années, cet homme, qui a toujours aimé la Chine, a même accepté un poste de professeur à Nanjing, lui permettant de passer un séjour de trois mois chaque année en Chine. Cela nous a naturellement rapprochés, d’autant plus qu’il mène une vie de nomade et qu’il est difficile à joindre. C’est il y a quelques années que l’idée d’écrire un livre avec moi sur la poésie Tang lui est venue. J’ai évidemment accepté, tant le projet m’enchantait.

Au début, nous avons imaginé le livre comme une série de dialogues autour des lieux sacrés de la poésie Tang. J’ai décidé de voyager avec lui dans des lieux emblématiques où de grands poètes Tang ont laissé leurs empreintes et composé certains des plus grands poèmes de notre patrimoine littéraire. Nous avons commencé par Chengdu, avec la Chaumière de Du Fu, célèbre site touristique lié à la vie de Du Fu, une figure majeure de la poésie chinoise aux côtés de Li Bai.

La visite a été fructueuse et pleine de bonnes surprises. Près d’un puits, M. Le Clézio a posé une question : « Mais où sont les lucioles ? » Ce qui a surpris tout le monde, même le directeur du musée de la Chaumière de Du Fu. En fait, M. Le Clézio connaît par cœur un poème de Du Fu intitulé Aux lucioles, dans lequel le poète raconte comment, en suivant les lucioles jusqu’au bord d’un puits, il prend conscience de sa vieillesse et s’attriste de l’incertitude de la vie en temps de guerre.

J.M.G Le Clézio et Dong Qiang au Musée de la Chaumière de Du Fu

Voyage à travers le temps et l’espace

Par la suite, nous avons entrepris un voyage imaginaire à travers l’espace et le temps. Grâce à Internet, nous avons échangé des mails contenant des ébauches de textes, des choix de poèmes et de nouvelles idées. À la fin, un parcours poétique s’esquissait : la version française de notre livre, offrant aux lecteurs la possibilité de suivre les plus grands poètes Tang à travers le voyage, la beauté, l’ivresse, l’amitié et la nature, entre autres. La plume de M. Le Clézio est accompagnée de mon pinceau, puisque l’ouvrage est illustré par des peintures chinoises anciennes et mes calligraphies. Émerveillée, une journaliste française du Monde a consacré un bel article à ce livre, avec un titre plus qu’enchanteur : « Le flot de la poésie continuera de couler » : Le Clézio et le calligraphe.

Il est toujours émouvant de constater que le livre a été un succès dès sa sortie, réconfortant des milliers de lecteurs français dépassés par la situation difficile. La poésie chinoise crée des liens entre la France et la Chine, et conserve son pouvoir guérisseur ancestral.

La version chinoise a également rencontré le succès, mais pour des raisons différentes : les lecteurs chinois sont émerveillés de voir que cette poésie qui leur est si familière peut aussi toucher des étrangers. Ils prennent mieux conscience de sa valeur universelle et surtout de sa modernité : elle nous touche tous, malgré les siècles qui nous séparent d’elle.

Le pouvoir des échanges culturels

Le succès de cette collaboration souligne l’importance de l’héritage culturel et des grands classiques. Dans le même esprit, j’ai initié le ballet Le Pèlerinage vers l’Ouest, avec la collaboration d’un compositeur français et d’une chorégraphe chinoise. Laurent Petitgirard est un compositeur français renommé et secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts sous la Coupole.

Wang Yabin est une danseuse chinoise qui a participé à de nombreuses représentations internationales. Elle est également une chorégraphe talentueuse et respectée. La Chanteuse de l’Opéra, adaptée du roman de Bi Feiyu, a été un énorme succès. Elle y tient le rôle principal tout en étant la chorégraphe.

Un passeur est celui qui fait passer. C’est à lui de maîtriser l’art de conduire un bateau d’une rive à l’autre, et sous cette métaphore, nous voyons bien l’art de traduire, d’une langue à l’autre. Mais cela ne suffit pas, le passeur est aussi celui qui connaît bien les deux rives. C’est avec amour qu’il circule entre les deux rives et fait passer le meilleur de ce que contiennent l’une et l’autre rive. Réjouissons-nous qu’il existe tant de choses merveilleuses sur une rive comme sur l’autre. Dans le cas de la Chine et de la France, le flot des échanges culturels continuera de couler.

 

*DONG QIANG est doyen de l’Académie Yenching de l’Université de Pékin et membre correspondant de l’Institut de France.

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