Deux Sessions politiques : vers une refonte du modèle économique chinois

Laurène Beaumond RCI 2021-03-09 16:56:04
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Commentatrice Laurène Beaumond


2021, année ô combien importante pour la Chine. A partir du 4 mars, les députés de l'APN et les membres de la CCPPC du pays se réunissent à Beijing à l'occasion des Deux Sessions politiques annuelles. Les objectifs de développement économique et social du pays détaillés dans le 14ème Plan Quinquennal sont clairs : une guerre sans merci contre la pauvreté, la modernisation des zones rurales et une vitalité économique censée profiter aux Chinois et au reste du monde.

Que peut-on attendre des Deux Sessions politiques chinoises de cette année ? Avant de répondre à cette question, il convient de revenir sur le terme de « plan quinquennal » qui fleure bon les années 1950, époque où l'économie chinoise s'inspirait directement du modèle soviétique et de son économie planifiée. Sauf qu'en 2021, l'économie chinoise n'a plus grand-chose à voir avec une politique qui s'appuie sur des modes d'organisation qui imposent des objectifs de rendement précis aux entreprises d’État et aux fermes collectives. Les besoins de la population ne sont plus les mêmes et la Chine est désormais la deuxième économie mondiale. C'est, pour citer Deng Xiaoping dans les années 1980, « une économie socialiste de marché ». Ce modèle – qui a peu à peu délaissé le modèle soviétique au profit du libéralisme et opté pour une ouverture économique à l'international - a si bien fonctionné que la Chine peut se targuer d'être la seule puissance économique à avoir atteint une croissance positive en pleine pandémie (+2,3% de son PIB, soit 100 mille milliards de yuans en totalité). Il se trouve que le terme de « plan quinquennal », dont le premier a vu le jour en Chine en 1953, est resté et que les objectifs à atteindre sont toujours nombreux. Les moyens ont changé depuis un demi-siècle, mais la mission du gouvernement chinois reste la même, et le président chinois et secrétaire général du Parti Communiste Chinois (PCC) Xi Jinping l'a rappelé dans un discours prononcé quelques jours avant le début de la session plénière de l'Assemblée Populaire Nationale (APN) et de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) : « L'engagement initial et la mission du PCC consiste précisément à apporter le bonheur au peuple chinois. »


Vers un nouveau modèle de développement économique

Les grandes lignes de ce fameux 14ème Plan Quinquennal ont déjà été dévoilées au grand public le 29 octobre 2020 lors de la session plénière du 19ème Comité Central du PCC. Il s'agit des objectifs de développement économiques et sociaux pour la période 2021-2025, avec des visées à plus long terme, au moins jusqu'en 2035, qui seront appliqués dès le mois de mars 2021 et que les députés réunis à Beijing et venus des quatre coins de la Chine devront entériner. Contrairement aux années précédentes, et compte tenu des incertitudes liées au contexte sanitaire actuel, aucun objectif précis de croissance n'a été établi. Mais s'il y a bien une chose à retenir du 14ème Plan Quinquennal chinois, c'est qu'il est véritablement ancré dans le réel et qu'il tient compte de l'instabilité et de l'incertitude économique globales. Cette réalité, c'est que le modèle de développement économique doit évoluer. Longtemps, la Chine a basé sa réussite économique sur les exportations de masse et d'importants investissements – avec le succès que l'on sait. Mais ce modèle a, semble-t-il, fait long feu, les membres du PCC ne l'ignorent pas. Plutôt que de tout miser sur les exportations comme ce fut le cas pendant des décennies, les dirigeants chinois souhaitent que le relais soit pris par les Chinois eux-mêmes ; c'est-à-dire booster la consommation des ménages et stimuler la demande intérieure. Les chiffres ont permis de constater que les Chinois, contrairement aux Occidentaux qui en ont profité pour épargner en masse depuis le début de la pandémie de Covid-19, consomment toujours beaucoup et dans tous les secteurs : agroalimentaire, biens de consommations courants (textile, cosmétiques, électroménager), hautes technologies, tourisme (intérieur, par la force des choses) et luxe. Et cette consommation domestique toujours aussi dynamique est sans doute une des raisons pour lesquelles la Chine a réussi à garder la tête hors de l'eau pendant la crise sanitaire.


« L'autonomie technologique » et la numérisation du pays

Être de moins en moins dépendant des lignes de production étrangères qui ont montré leurs limites en ces temps de pandémie, c'est l'un des objectifs définis dans le 14ème Plan Quinquennal chinois. Cet objectif a été désigné sous le nom d' «autonomie technologique », ce qui ne veut évidemment pas dire que la Chine compte garder toutes ses découvertes technologiques pour elle-même, cela n'aurait aucun sens et serait même contre-productif. Mais les frictions commerciales qui ont eu lieu sous l'ère Trump aux États-Unis (Huawei et TikTok pour ne citer qu'eux) ont marqué négativement les esprits, et il est temps pour la Chine de s'affranchir des technologies américaines dominantes et de construire davantage de pièces électroniques sur son sol, notamment les puces électroniques appelées «semi-conducteurs » (elle en importe encore beaucoup de l'étranger et surtout des États-Unis). Autre point central du document politique chinois : la poursuite de la numérisation et le recours au e-commerce, qui explose depuis quelques années et qui a fait des miracles pendant le confinement des grandes villes pendant les heures les plus sombres de la pandémie. Grâce à des ventes en direct sur les réseaux sociaux, des milliers d'agriculteurs ont pu écouler leurs stocks de fruits et légumes en les vendant aux citadins qui ne pouvaient pas sortir de chez eux et n'avaient d'autre choix que de se faire livrer. Cela a si bien marché que les agriculteurs en question ont réussi à fidéliser leur clientèle, et ainsi à s'assurer un revenu stable pour les mois à venir.

La « cybersouveraineté » de la Chine, sa modernisation et la préférence désormais accordée à la consommation intérieure sont les clefs de la croissance selon le Parti Communiste chinois qui, avec ce 14ème Plan Quinquennal fait le parti de la rupture avec les politiques de planification du passé tout en fixant toujours des objectifs ambitieux – mais pas impossibles à tenir. Et la bonne santé de l'économie chinoise profite non seulement à la Chine, mais aussi au reste du monde – à l'Union Européenne, par exemple, redevenue son premier partenaire commercial. A l'Afrique également, et à bien d'autres pays en développement qui s'inspirent de plus en plus du « modèle chinois » qui s'est quant à lui totalement affranchi du passé pour créer le sien propre.

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