Li Kunwu: une vie chinoise qui touche les lecteurs de BD européens

RCI 2021-06-15 15:24:32
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Li Kunwu (au milieu) lors d'une rencontre au public en marge de la 5e Fête des Bulles

Li Kunwu (au milieu) lors d'une rencontre au public en marge de la 5e Fête des Bulles

En 2005, Li Kunwu, auteur de bande dessinée chinois, a ouvert un nouvel horizon de sa vie professionnelle. A l’âge de 50 ans, il s’est lancé dans un travail inédit, en collaboration avec le scénariste de la bande dessinée français Philippe Ôtié. C’est grâce à ce tandem sino-français que fut publié en 2011, le roman graphique en trois tomes « Une vie chinoise ».

Né en 1955 à Kunming, dans le sud-ouest de la Chine, six ans après la fondation de la République populaire de Chine, Li Kunwu a vécu presque toutes les étapes marquantes de la Chine Nouvelle, il est donc un véritable témoin de l’évolution de la société chinoise durant les 70 ans passés. Dans la série « Une vie chinoise », Li Kunwu commence par raconter sa naissance, son grandissement, la vie de sa famille, de ses amis ou de son entourage entre des années 1950 et le début du 21e siècle.

Issu d’une famille modeste dont le père était cadre du gouvernement et la mère ouvrière, Li Kunwu n’a pourtant suivi aucune formation en art ou en peinture. Son habileté en art est innée. Il a commencé à dessiner depuis tout son bas âge. Petit à petit, il commençait à développer les attitudes de quelqu’un qui était prêt à réaliser tout un journal de bande dessinée, reprenant les activités de son quotidien.

Durant sa jeunesse, Li Kunwu a fait usage de son talent d’artiste, se distinguant dans les peintures murales et les peintures sur les tableaux. Il a également fait les portraits du président Mao dont certains sont visibles dans des écoles et d’autres dans différents services de l’Armée populaire de Libération de Chine (APL). Après avoir pris sa retraite de l’armée, le peintre s’est converti en photographe et a travaillé pendant une vingtaine d’années au Journal Chuncheng Wanbao. Ses capacités de peindre lui permettent d’écrire les scénarios et de présenter des illustrations sous forme de dessins.

Dans la co-création, « Philippe Ôtié et moi, nous nous sommes entraidés, malgré des contradictions et des querelles dues à la perception que chacun avait sur certains aspects de l’art. Ce qui est normal, d’autant plus nous sommes issues de différentes cultures», se rappelle Li Kunwu lors d’une interview accordée à China Media Group (CMG).

Pour le dessinateur chinois, leur coopération a connu un franc succès. Philippe Ôtié lui a offert une aide précieuse dans la création de « Une vie chinoise », en racontant l’histoire de manière tout à fait européenne. « Le Lianhuanhua (une sorte de bande dessinée chinoise) est composé des illustrations séparées, du texte et des dessins qui ne se relient pas étroitement, tout comme des diapositives statiques. Tandis que le roman graphique de l’Europe se caractérise par les détails et les intrigues, il ressemble à un film composé de gros plan et montage », fait observer Li Kunwu.

Aujourd’hui, Li Kunwu se souvient encore d’un petit détail dans la coopération avec Philippe Ôtié. « Il m’a proposé d’ajouter ce petit bout de phrase sur le dessin : <Il est bon de donner naissance à un seul enfant >, faisant référence au planning familial à l’époque en Chine. Mais récemment, la Chine a autorisé trois naissances par famille, je crois que ce petit détail glissé par inadvertance rappelle aujourd’hui l’évolution de la Chine en matière de gestion de naissance », se rappelle Li Kunwu visiblement joyeux.

Li Kunwu lors d'une rencontre au public en marge de la 5e Fête des Bulles

L’histoire de Li Kunwu a suscité un succès inattendu. « Une vie chinoise » en trois tomes a été d’abord publié chez Dargaud en français, et rapidement traduit et publié en 16 langues dont la version chinoise publiée chez Sanlian Press. Cette série autobiographique a reçu plusieurs prix importants de BD en France, en Chine et au Japon. L’ouvrage est devenu, à la surprise générale de son auteur, un best-seller en Europe, voire un cadeau à offrir aux amis. Des expositions de peintures à l'encre et sur rouleau, la spécialité de Li Kunwu, ont été organisées dans une dizaine de villes en France, en Italie ou en Espagne.

A travers cet ouvrage, les lecteurs européens ont pu se faire des idées sur les détails du quotidien des Chinois : la joie, le malheur, la famille, le mariage ou l’enterrement…un kaléidoscope de la société chinoise. De plus, de la fondation de la Chine Nouvelle au défilé de la Fête nationale en 2009, la Chine a successivement réalisé les étapes de son redressement, Xiao Li (petit Li) est devenu Lao Li (vieux Li), une vie réelle d’un petit Chinois fait ressortir l’évolution de la Chine.

« L’histoire de ma mère a touché beaucoup de lecteurs, qui l’ont comparée à l’image de leurs mamans. Ce n’est donc pas simplement une histoire chinoise, les émotions de l’homme sont universelles, je crois que cela est probablement la vitalité de cet ouvrage », indique Li Kunwu à CMG.

Dix ans après la première publication de « Une vie chinoise », Li Kunwu veut exprimer ses sincères remerciments envers son pays, la Chine. « Le succès de cet ouvrage est le fruit des avancées sociales observées dans notre pays. Sans le développement de la Chine, mon histoire n’aurait pas attiré l’attention de nombreuses personnes à l’échelle mondiale. Le monde d’aujourd’hui prête plus d’attention à la Chine. J’éprouve une énorme gratitude envers notre pays qui rend ces distinctions possibles à une histoire d’un Chinois ordinaire », affirme Li Kunwu. « Le président chinois Xi Jinping a souligné récemment qu’il fallait présenter la culture et le développement de la Chine de façon complète et objective. Avec un peu de recul sur le processus de la création, je crois avoir trouvé une bonne méthode de bien raconter des histoires chinoises. »

Après le succès de la trilogie autobiographique, Li Kunwu continue d’avancer sur cette voie ouverte devant lui, il a créé successivement neuf albums de bandes dessinées, tout en gardant une préoccupation pertinente portée sur l’histoire. Il ne manque toujours pas de mettre l’accent sur le principe de « voir le grand par le petit ». Dans La Voie ferrée au-dessus des nuages, il présente une relation sino-française méconnue, en racontant l’histoire de la ligne ferroviaire Yunnan-Vietnam construite et mise en service au début du 20e siècle ; dans Les Pieds bandés, il raconte la vie d’une femme chinoise ordinaire, les transformations de l’époque et les malheurs personnels font mener la fille aux pieds bandés une vie bien lourde ; dans Ma génération, Li Kunwu essaie de tracer la voie des gens de sa génération à l’intervalle de 50 ans.

Grâce à la création de « Une histoire chinoise », Li Kunwu a forgé sa réputation en Europe et participé à de nombreux festivals de la bande dessinée dans les pays européens. Des visites lui ont permis d’observer de tout près l’industrie de la bande dessinée européenne. « J’étais très étonné par le développement de l’industrie de la BD en Europe, j’ai une forte admiration pour les personnes qui travaillent dans ce secteur. La BD en Europe, c’est comme un monde plat des adultes, tout ce qu’on trouve dans la vie adulte existe aussi dans les albums : astronomie, géographie, philosophie ou gastronomie…La bande dessinée se réjouit de son surnom du 9e art en France, qui a autant de valeurs que la musique, les beaux-arts, le théâtre ou la littérature », explique Li Kunwu.

La couverture de Cicatrices. L'homme portant un chapeau, image emblématique de Li Kunwu, se répète dans ses oeuvres.

La couverture de Cicatrices. L'homme portant un chapeau, image emblématique de Li Kunwu, se répète plusieurs fois dans ses oeuvres.

En mai 2021, Li Kunwu était le parrain de la 5e édition de la Fête des Bulles, un événement culturel visant à promouvoir les échagnes du secteur de la bande dessinée entre la Chine et la France. Cette activité a permis à Li Kunwu de mieux connaître la création des jeunes auteurs de BD, il a aussi de l’espoir en ces jeunes Chinois.

« L’Internet ne signifie pas tout, les gens ont toujours besoin de lire des ouvrages en papier, le roman graphique est aussi compatible sur l’écran », dit-il. « De nombreux adultes en Chine considèrent encore la bande dessinée comme la littérature dédiée à la jeunesse. La situation serait toute autre si chaque librairie avait un rayon spécialement dédié aux romans graphiques qui mettent en valeur la véritable exigence scénaristique et artistique de la bande dessinée. Il fait sens de promouvoir ce concept de roman graphique », ainsi pointe Li Kunwu.

Il conseille aux jeunes dessinateurs chinois de faire attention à l’histoire qu’ils racontent, au lieu de chercher trop les effets visuels en apparence. Il suggère en plus aux jeunes de ne pas se contenter de suivre le style des mangas japonais, « peu importe la technique employée ou le sujet choisi, je conseillerais à tous de regarder du côté des Lianhuanhua traditionnels, qui peuvent être très inspirants », souligne-t-il. « Je leur conseille d’appréhender personnellement le travail du livreur ou des soignants, parce qu’il faut connaître la vie réelle et se rapprocher des gens ordinaires.»

Pour Li Kunwu, le roman graphique est marqué par un vif style d’art qui donne plus de liberté aux créateurs, il veut continuer de raconter en graphique ce qu’il ressent de la vie. « Je suis né et grandi dans la Chine Nouvelle, j’avais une vocation pour la patrie. Et maintenant, (après ma retraite), j’ai toujours un sens de responsabilité, celui de présenter la beauté et la bonté de la vie », dit-il avec tant d’émotions.

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