La démocratie occidentale est-elle vraiment supérieure ?

RCI 2022-04-24 15:00:40
Share
Share this with Close
Messenger Messenger Pinterest LinkedIn WeChat

L’Economist Intelligence Unit (EIU) a diffusé la dernière version de son indice de démocratie, le 10 février 2022. Son titre, The China Challenge, en dit long sur les insécurités mondiales.

L’EIU, la division de recherche et d’analyse de The Economist Group, produit son indice très cité depuis 2006 et observe que 2021 a été la pire année jamais enregistrée pour la démocratie occidentale.

Bien sûr, la démocratie, comme la beauté, réside dans l’œil du spectateur. L’EIU définit et mesure la démocratie telle qu’elle est comprise à Londres, auprès de la soi-disant « mère des parlements ». Il n’est donc pas surprenant que l’indice suggère que la démocratie britannique est supérieure de 54 % à la moyenne mondiale.

L’indice de démocratie est fondé sur 60 critères binaires et trichotomiques regroupés en cinq catégories : le processus électoral et le pluralisme, le fonctionnement du gouvernement, la participation politique, la culture politique et les libertés civiles. Les scores de ces cinq composantes ont chuté en 2021, ceux des libertés civiles et de la culture politique ayant diminué le plus rapidement. Les tendances évaluées sur quinze ans indiquent également une baisse de quatre des cinq dimensions évaluées. La seule exception est la participation politique, qui a augmenté notamment entre 2010 et 2020.

Des députés des assemblées populaires de différents niveaux se rendent dans un quartier de la ville de Dexing, dans la province du Jiangxi (est de la Chine), pour s’informer des préoccupations et des revendications de la population locale, le 18 décembre 2021.

Des députés des assemblées populaires de différents niveaux se rendent dans un quartier de la ville de Dexing, dans la province du Jiangxi (est de la Chine), pour s’informer des préoccupations et des revendications de la population locale, le 18 décembre 2021.

La question des libertés individuelles

Alors, si la démocratie à l’occidentale recule, quelle en est la raison ? Le rapport pointe du doigt la pandémie de COVID-19 qui, selon lui, « a entraîné un retrait sans précédent des libertés civiles » avec « l’imposition de confinements », de « restrictions de déplacement » et « l’introduction de “laissez-passer verts” exigeant une preuve de vaccination » pour « participer à la vie publique ».

Ces mesures reflètent les politiques de santé publique conçues pour prévenir la propagation des infections et limiter les décès. Cependant, l’Economist Intelligence Unit, bien que très respectée, appartient à ce que l’on pourrait appeler l’aile intellectuelle de la droite politique libertaire. Les libertaires remettent en question le droit de l’État à restreindre les libertés individuelles même si l’intention est de sauver des vies.

Des preuves de l’importance de ces opinions sont bien visibles dans le refus de nombreux républicains aux États-Unis de porter le masque et dans l’empressement du premier ministre britannique à placer son droit d’assister à des fêtes au-dessus de la lettre de la loi et du bien-être de ses collègues.

Les manifestations dans les rues d’Athènes, d’Helsinki, de Paris et de Stockholm en janvier de cette année, répétées en Autriche, en Belgique, en République tchèque et en Allemagne, illustrent la volonté des citoyens de faire passer leurs valeurs personnelles avant le bien commun. L’indice de démocratie a été abaissé, non pas à cause des manifestations, mais parce que les mesures de santé publique ont restreint les libertés civiles.

Mais alors que l’EIU accuse les « réponses autoritaires à la pandémie » de « saper la démocratie », elle reconnaît que cela n’a fait « qu’aggraver les tendances négatives existantes » et que la démocratie à l’occidentale « se débat à travers le monde ». Elle rapporte que « pour beaucoup de gens la démocratie ne fonctionne pas », que « la confiance dans le gouvernement et les partis s’est effondrée », qu’il y a eu « une recrudescence de la participation et de la protestation populaires » et que « l’attachement des gens à la démocratie s’affaiblit ».

Des députés des assemblées populaires de différents niveaux se rendent dans un quartier de la ville de Dexing, dans la province du Jiangxi (est de la Chine), pour s’informer des préoccupations et des revendications de la population locale, le 18 décembre 2021.

Des députés des assemblées populaires de différents niveaux se rendent dans un quartier de la ville de Dexing, dans la province du Jiangxi (est de la Chine), pour s’informer des préoccupations et des revendications de la population locale, le 18 décembre 2021.

Le modèle chinois

Ces découvertes expliquent le titre improbable du rapport : The China Challenge. La Chine n’est que l’un des 167 pays et territoires couverts par ce rapport. De plus, la démocratie à la chinoise, telle que décrite dans le livre blanc du gouvernement La Chine : la démocratie qui marche, diffère nettement de la version occidentale. Classée seulement 148e selon l’indice de démocratie de l’EIU, la Chine propose un modèle alternatif qui a le soutien de sa population. Par conséquent, l’EIU perçoit la Chine comme un puissant défi à la démocratie occidentale.

Le rapport de l’EIU reconnaît certaines des réalisations du modèle chinois. Il concède que la Chine est passée « d’un pays en développement pauvre à une superpuissance économique » et que « le succès des 40 dernières années doit beaucoup à son modèle politique unique ». Il prédit que « la Chine sera de loin la puissance économique la plus importante en 2050 ».

Cependant, les auteurs du rapport insistent sur le fait que la Chine a adopté un système économique capitaliste « même si le Parti communiste chinois au pouvoir fait toujours référence au socialisme ». Mais ils ne comprennent pas que le modèle chinois a un objectif différent. Alors que le capitalisme occidental de libre marché cherche à maximiser les profits pour les actionnaires, l’économie de marché socialiste de la Chine vise à atteindre la « prospérité commune », la prospérité pour tous.

Ce malentendu est profond. Les auteurs expliquent que leurs experts évaluateurs ont réduit le score attribué à la Chine pour les libertés civiles quand ils ont appris que la prospérité commune était un objectif politique. Ils étaient préoccupés par la politique de 2021 visant à encourager les grandes entreprises à allouer une partie de leurs bénéfices à des causes philanthropiques – ce qui est communément appelé la « troisième distribution ». La définition de la démocratie de l’EIU semble exclure la possibilité d’un partage significatif des richesses.

Selon le rapport, la Chine serait « en retard sur les grandes puissances occidentales » sur une autre dimension de la démocratie : le fonctionnement du gouvernement. Ceci malgré la reconnaissance du fait que « par toute mesure de continuité et de compétence de l’État, l’État chinois doit être jugé parmi les meilleurs au monde ». La raison invoquée est « l’absence de tout mécanisme de responsabilité, de contrôle et de contrepoids ou de transparence ». Ailleurs, ignorant ses propres preuves, le rapport de l’EIU affirme que « le manque de contrôle démocratique ou de responsabilité a permis à la corruption de prospérer » et que « les élites chinoises sont souvent intéressées et les abus de pouvoir ne sont pas rares ».

Quelle est la preuve qui est négligée ? L’Enquête sur les valeurs mondiales 2017-2020 (WVS), que l’équipe de l’EIU prétend utiliser pour « l’aider » dans son « effort d’interprétation ». Cette enquête souligne que, tandis que 37% des Américains pensent que « la plupart ou la totalité des personnes travaillant pour les autorités étatiques sont impliquées dans la corruption », seuls 14% des citoyens chinois pensent la même chose.

De même, 95% des répondants chinois ont une grande – ou une assez grande – confiance dans leur gouvernement national, contre seulement 33 % des Américains. En effet, 29 % des Américains n’ont aucune confiance dans leur gouvernement. C’est également le cas de 15 % des Canadiens et de 19 % des Australiens.

Les auteurs de l’EIU admettent qu’il s’agit d’un jugement de valeur quant à savoir si un système politique est meilleur qu’un autre. Cependant, ils insistent sur le fait que les systèmes politiques doivent être jugés en fonction de la mesure où ils permettent « la bonne vie ». Cela, supposent-ils, doit inclure le fait d’être à l’abri du besoin, l’égalité de traitement et d’opportunités, la liberté politique et religieuse, et « l’évitement des inégalités économiques et sociales flagrantes ». Ils notent que cette définition omet « la recherche de l’épanouissement individuel qui trouve son affirmation dans la poursuite de fins non matérielles telles que la communauté, la justice et la vertu ».

Les valeurs du peuple chinois

La communauté, la justice et la vertu sont des valeurs adoptées par les Chinois. L’Enquête sur les valeurs mondiales 2017-2020 indique qu’ils sont plus nombreux à privilégier l’égalité à la liberté qu’à croire le contraire – 65 % contre 34 %. L’inverse est vrai pour les Américains : 78 % placent la liberté en premier et seulement 21 % l’égalité. Soixante-quatre pour cent des Chinois pensent qu’on peut faire confiance à la plupart des gens, contre seulement 37 % des Américains. Vingt-trois pour cent estiment que le gouvernement devrait accorder la priorité absolue à l’embellissement des villes et des campagnes. Pas un seul Américain de l’échantillon n’a songé à mentionner cette beauté.

Le défi posé par la Chine est qu’elle réussit. Ses habitants sont plus satisfaits de leur système politique que les Américains ou même les Allemands ; les notes moyennes sur 9 sont respectivement de 7,5, 4,5 et 6,3. En ce qui concerne les libertés, les citoyens chinois et allemands obtiennent presque le même score (7,0 et 7,1). Ils se sentent également libres et disent avoir le même degré de contrôle sur leur vie. De ce point de vue, ils ne sont que légèrement devancés par les Américains (7,7). Par ailleurs, peu d’Allemands ou de Chinois pensent qu’il y a des violations des droits de l’homme dans leur pays – 8% et 11% respectivement. Le chiffre équivalent pour les États-Unis est de 43%, soit quatre fois plus.

Ce n’est pas le COVID-19 qui tue la démocratie occidentale. Un capitalisme plutôt débridé crée des inégalités et aboutit à des groupes aux intérêts très divergents. Il n’est donc pas surprenant que les Américains aient moins confiance dans la démocratie pratiquée dans leur politique que les citoyens chinois dans la leur (scores moyens de 6,1 et 7,1). Même si le rapport de l’EIU omet de mentionner ce fait, il conclut qu’il est « bien mieux que les États-Unis et les démocraties du monde démontrent les avantages de leur système de gouvernement en redémocratisant leur politique, plutôt qu’en essayant d’isoler ou de contenir la Chine ».

Vrai. Mais si les démocrates occidentaux comprenaient mieux la Chine, ils se rendraient compte qu’en travaillant ensemble, le monde entier pourrait atteindre la prospérité commune, la prospérité pour tous.

*ROBERT WALKER est professeur à l’Académie chinoise des sciences sociales/École de sociologie, à l’Université normale de Beijing, et est professeur émérite et membre émérite du Green Templeton College de l’Université d’Oxford.


Origine de l'article:《La Chine au présent》

Partager

Articles les plus lus