Fabriquer des menaces extérieures sauvera-t-il l'Amérique ?

CGTNF 2021-12-24 10:26:31
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En introduisant leur soi-disant ''Rééquilibrage Asie-Pacifique'' en 2009, les États-Unis ont pivoté vers une mentalité de Guerre froide qui vise à encercler stratégiquement les grandes puissances de l'autre côté du Pacifique. En 2017, l'administration Trump a qualifié la Chine et la Russie de "révisionnistes" lors de sa mise à jour de la stratégie de sécurité nationale des États-Unis. En 2019, cette administration a publié son rapport sur la stratégie indo-pacifique, qui faisait de la présence maritime de la Chine sa cible centrale.

Depuis que Joe Biden a remplacé Donald Trump, les navires de guerre américains ont traversé à plusieurs reprises le détroit de Taïwan et la mer de Chine méridionale, menant des exercices militaires conjoints autour de la Chine. Des instruments bellicistes tels que le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité et l'AUKUS - l'alliance États-Unis-Royaume-Uni-Australie - ont émergé les uns après les autres, visant apparemment la Chine militairement.

Comment la Chine, un pays qui s'est développé pacifiquement, qui s'ouvre activement au monde et qui apporte continuellement de grandes contributions à l'humanité, a-t-elle ainsi pu devenir une épine dans le pied pour les États-Unis ?

La réponse est à chercher du côté des États-Unis eux-mêmes, plutôt que de la Chine. Les États-Unis se sont toujours présentés comme un phare de la démocratie. Ils se présentent comme une puissance libérale où les jeunes débordent de vitalité, où les personnes d'âge moyen possèdent de fortes aspirations et où les personnes âgées sont paisibles et heureuses. Cependant, ces dernières années, sous le vernis fantaisiste d'une superpuissance, les divisions sociales, la polarisation politique, les conflits raciaux, le chômage et d'autres problèmes se sont accrus. Dans le même temps, les possibilités d'ascension sociale pour les personnes en bas de l'échelle sociale se réduisent et les Américains perdent l'espoir d'un avenir meilleur.

Une ville épouvantable

Lieu de signature de la Déclaration d'indépendance, Philadelphie, le berceau de la Constitution américaine et la capitale des États-Unis entre 1790 et 1800, est une ville vénérée dans l'histoire de la nation. Elle était autrefois la plus grande économie métropolitaine de l'État de Pennsylvanie. Elle est devenue la première ville américaine inscrite au patrimoine mondial en 2015 et est considérée par les Américains comme un parfait mélange d'histoire et de modernité.

Mais aujourd'hui, l'avenue Kensington - autrefois animée, et liée à jamais à la proclamation de l'indépendance - est entrée dans l'histoire pour de mauvaises raisons en étant désignée comme le quartier le plus durement touché par la pire crise urbaine des opioïdes du pays. Elle est devenue le plus grand marché de la drogue à ciel ouvert de la côte Est des États-Unis et un lieu de rassemblement pour les jeunes toxicomanes sans abri. Des jeunes désespérément en quête de drogues frissonnent parmi les ordures ; ceux dont le besoin est temporairement assouvi se traînent comme des morts-vivants ; des types en manque s'injectent avidement des drogues dans le corps avec un regard fantomatique. Ce sont des scènes courantes sur l'avenue Kensington d'aujourd'hui.

Les trafiquants de drogue de tout le pays achètent leurs produits à Philadelphie et les revendent dans leur État d'origine à un prix beaucoup plus élevé. Un grand nombre de jeunes garçons et filles, qui ne savent pas comment reprendre possession de leur vie, errent dans la tourmente.

Les habitants, pour la plupart des personnes de couleur, ont été pratiquement laissés à eux-mêmes pour faire face au problème de la drogue dans leur communauté. Eduardo Esquivel, le président de l'association de quartier de Kensington, appelle cela une politique d'endiguement qui permet de s'assurer que le problème ne s'étend pas aux quartiers blancs dont les habitants viennent habituellement en voiture pour acheter de la drogue, la consommer et repartir.

"Soyons clairs : l'effort d'endiguement très réussi à Kensington constitue du racisme systémique en acte", a-t-il écrit en août.

La Rust Belt en colère

Il y a à peine 40 ans, la région autour des Grands Lacs et du Midwest était dominée par des centres industriels de premier ordre. La "Rust Belt", comme on l'appelle aujourd'hui, n'était pas encore une ''ceinture rouillée" à l'époque, mais constituait un moteur du développement économique des États-Unis.

Toutefois, l'augmentation du coût de la main-d'œuvre, la nature capitalistique de l'industrie manufacturière, la concurrence de l'étranger et les nouvelles technologies ont entraîné la délocalisation des emplois. Le moteur s'est par conséquent rouillé et le chômage a grimpé en flèche.

Le 15 février 2019, Gary Montez Martin, à Aurora, dans l'Illinois - tout comme la Pennsylvanie, un État de la Rust Belt - a été licencié par l'usine où il travaillait depuis 15 ans. Fou de rage, l'homme de 45 ans s'est lancé dans une fusillade. Après avoir tué cinq policiers et en avoir blessé six autres, Martin a été abattu. Ce que l'auteur a fait constitue sans aucun doute un crime odieux, mais l'indifférence du gouvernement à l'égard des chômeurs est tout aussi inacceptable. Il était suffisamment cruel pour jeter dans le désespoir un homme d'âge moyen soumis à une énorme pression familiale et sociale.

Sous l'administration Donald Trump, Washington n'a pas sauvé la Rust Belt comme l'ex-président l'avait autrefois promis. Au contraire, le taux de chômage dans cette région a atteint un niveau record. Bien qu'il ait baissé depuis que Joe Biden a prêté serment, la vie des sans-emploi n'en est pas moins préoccupante sous le double coup de la pandémie et de l'arrêt de l'économie.

Les personnes âgées abandonnées à leur propre sort

Autrefois héros du développement de l'Amérique, les personnes âgées se trouvent aujourd'hui dans une situation délicate. Alors que le pays continue à vieillir, les retraités représentent une part croissante de la population, tandis que la population active est en déclin constant. L'augmentation de l'espérance de vie moyenne ne fait qu'exacerber cette tendance. Par conséquent, les personnes âgées doivent vivre avec une quantité énorme de richesse sociale censée être réservée aux générations futures, ce qui met sous pression les jeunes générations, d'où une animosité intergénérationnelle d'une intensité sans précédent.

Pendant la pandémie de coronavirus, les personnes âgées n'ont pas été prises en compte, parce que leur valeur économique est quasi nulle et qu'elles ne font que créer des charges financières. Avec moins de la moitié des ressources médicales accessibles aux plus jeunes, les personnes âgées sont deux fois plus susceptibles de mourir du virus que les jeunes. Interrogé à ce sujet lors d'une interview sur Fox News, Dan Patrick, le vice-gouverneur du Texas, avait déclaré que les États-Unis ne pouvaient pas se permettre un effondrement économique dû à la pandémie, et que les personnes âgées devraient se porter volontaires pour mourir afin de sauver le pays.

Il n'est pas difficile d'imaginer que de nombreux seniors ont été amèrement déçus par ces paroles.

Face à des personnes - jeunes, d'âge moyen et âgées - qui ont perdu tout espoir en l'avenir, qu'a fait le gouvernement américain ? En tant que représentant du capital monopolistique, Washington n'est ni en mesure de changer fondamentalement le modèle économique actuel, ni d'inverser suffisamment la tendance à la polarisation politique, et encore moins de résoudre les conflits intérieurs de politique identitaire dans un court délai.

C'est pourquoi les politiciens et les militaires ont élaboré un "bon" plan : tenter d'étancher une soif avec du poison afin de s'exonérer de tout reproche public.

Une partie de ce plan consiste à engourdir la population : engourdir physiologiquement les jeunes en légalisant davantage les drogues, engourdir psychologiquement les personnes d'âge moyen en accusant les économies émergentes d'être responsables de problèmes intérieurs tels que le chômage et l'exode industriel, et engourdir idéologiquement les personnes âgées en adoptant ce qui ressemble à la politique de la Guerre froide, qui consiste à fournir des "services de mémoire" à ceux qui souffrent du syndrome de stress post-traumatique de l'Union soviétique. En conséquence, les Américains engourdis soit s'adonnent à des plaisirs temporaires, soit nourrissent de la rancune envers leurs prétendus ennemis. C'est exactement ce que le gouvernement américain souhaite qu'il se passe.

L'autre partie du plan consiste à créer un faux sentiment de crise. Washington dépeint les grandes puissances ayant des institutions politiques, des idéologies et des modèles de développement différents - par exemple, la Chine et la Russie - comme des révisionnistes remettant en cause l'ordre international existant, faisant croire aux Américains mal informés qu'une crise extérieure majeure se profile. Les États-Unis tentent d'entraîner la Chine dans une nouvelle Guerre froide dans l'espoir de l'écraser comme ils l'ont fait autrefois avec l'Union soviétique.

Bien que Biden ait effectivement dit non à une nouvelle guerre froide, il s'agit d'une main de fer dans un gant de velours. Les deux dernières administrations américaines n'ont cessé de lancer des attaques contre la Chine sur les fronts du commerce, de la technologie, de la finance, de l'information et des droits de l'homme, en se servant de la Chine comme d'un ennemi extérieur commun afin d'apaiser les divisions partisanes à l'intérieur du pays.

Cela peut certainement rejeter temporairement la faute sur d'autres, mais ne résout pas les problèmes. Ni le système économique à l'origine du ralentissement économique des États-Unis, ni la polarisation politique qui déclenche des conflits sociaux n'ont changé d'une manière quelconque. Détourner l'attention du public sur les questions intérieures en recourant à la confrontation entre les grandes puissances ne ferait que nuire aux propres intérêts des États-Unis.

D'une part, les mensonges demeurent des mensonges. La Chine n'a aucune intention stratégique d'attaquer militairement les États-Unis ou de les remplacer, ce qui rend injustifiables les fausses déclarations de Washington. D'autre part, en se livrant à ce type de jeu politique, les États-Unis pourraient passer à côté d'occasions futures de s'attaquer à leurs propres problèmes, et le public américain devra en payer le prix.

Washington n'a tiré aucune leçon des crises de sécurité intérieure, financières et de gestion de la pandémie qui ont frappé les États-Unis au cours des deux premières décennies du XXIe siècle. Plutôt que de s'attaquer à ses propres problèmes de longue date, Washington manipule à plusieurs reprises et de manière stupide et malveillante les médias en fabricant des menaces extérieures et en brandissant un bâton militaire pour menacer d'autres pays.

L'horreur de Philadelphie, la colère de la Rust Belt et la complainte des personnes âgées susciteront-elles enfin un sursaut de conscience auprès de quelque gouvernement américain que ce soit ?

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