​Le changement de locataire à la Maison Blanche permettra-t-il de réparer les fractures des relations transatlantiques ?

RCI 2021-01-26 08:17:47
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« Le partenariat transatlantique est en fait entretenu par des équipements de soutien de la vie. » Telle est l’évaluation des relations entre les Etats-Unis et l’Europe au cours de ces quatre dernières années faite par des médias européens. Cette description exprime tout simplement la déception. Alors que le pouvoir a changé de camp aux Etats-Unis, peut-on également espérer un changement de cap dans les relations transatlantiques?

Bien que le nouveau président américain Joe Biden ait déclaré à plusieurs reprises son engagement d’améliorer l’état des relations de son pays avec l’Europe, les dirigeants européens sont quand-même restés sur un goût amer de la récente déclaration du tout nouveau secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, rappelant que « le gouvernement américain est déterminé à empêcher l’achèvement du projet de gazoduc Nord Stream 2 ».

Pour l’Europe, ce projet, mis en oeuvre en coopération avec la Russie, touche à sa propre sécurité énergétique. Cependant, les Etats-Unis, qui veulent contrecarrer la Russie en voulant se rassurer de leur monopole dans la vente du gaz naturel en Europe, n’ont ménagé aucun effort pour entraver et saper la construction du gazoduc Nord Stream 2, ce qui a provoqué l’ire des dirigeants européens, aux premiers rangs desquels la chancelière allemande Angela Merkel.

Le projet de gazoduc Nord Stream 2 est loin d’être la seule question qui divise les deux parties. Récemment, le laboratoire Pfizer, qui travaille sous la direction des Etats-Unis, a retardé la livraison des vaccins contre la COVID-19, provoquant la colère de nombreux pays de l’Union européenne. Pour s’en défendre, le laboratoire n’a pas hésité à attribuer ce retard aux complications observées dans la chaîne de production. Argument que les analystes ont balayé d’un revers de main, estimant que Pfizer a délibérément retardé l’approvisionnement en vaccins en Europe, car, disent-ils, la société américaine a donné la priorité à la vaccination aux Etats-Unis. Sur cette question cruciale dont dépend la vie des populations européennes, il est à craindre que les relations entre ces deux partenaires séculiers s’assombrissent davantage, d’autant plus que l’acte posé par Pfizer sonne comme une trahison, surtout en cette période où tous les pays doivent se serrer les coudes pour lutter contre la COVID-19.

Pour le Premier ministre italien Giuseppe Conte, ce retard dans la livraison des vaccins est « inacceptable ». Furieux, il a promis d’ester en justice. Dans la foulée, les responsables de la santé de Suède, du Danemark et d’autres pays européens ont écrit conjointement une lettre ouverte demandant à la Commission européenne de faire pression sur Pfizer pour « garantir la stabilité et la transparence dans la livraison (des vaccins) en temps opportun ». Peut-être, comme l’a commenté le Wall Street Journal, l’administration Biden a déclaré qu’elle travaillerait pour rétablir l’état normal des relations entre les Etats-Unis et l’Europe, mais la vérité est qu’il ne reste rien de « normal » entre les Etats-Unis et l’Europe.

Tout compte fait, le changement de locataire à la Maison Blanche est loin de permettre aux Etats-Unis et à l’Europe, actuellement à couteaux tirés, de s’embrasser.

D’une part, les vieux problèmes épineux qui tracassent les Etats-Unis et l’Europe ne disparaîtront pas d’eux-mêmes. Qu’il s’agisse de subventions à l’aviation, de taxes numériques ou du gazoduc Nord Stream 2, les Etats-Unis et l’Europe ne transigeront pas facilement. De plus, les décideurs politiques aux Etats-Unis et en Europe sont confrontés à des pressions internes. Aux Etats-Unis, alors que les forces conservatrices gagnent du terrain, les fractures sociales ne cessent aussi de se creuser et il n’existe qu’une marge limitée pour ajuster la politique étrangère. Au sein de l’Europe, les voix appelant à se débarrasser des contraintes des Etats-Unis et à rechercher l’indépendance se multiplient et deviennent de plus en plus fortes.

De l’autre, à bien scruter la situation actuelle sur l’échiquier international, l’Indo-Pacifique est désormais le centre de gravité stratégique des Etats-Unis, ainsi l’Europe ne semble pas pour l’heure être la préoccupation majeure des Etats-Unis. Par conséquent, sur des questions telles que la garnison et les dépenses militaires de l’OTAN, la politique américaine risque de ne pas changer immédiatement.

Dans le même temps, l’adhésion populaire à l’amitié entre les Etats-Unis et l’Europe est également érodée. Un sondage récemment publié par le Conseil européen des relations internationales montre que la plupart des Européens pensent que les Etats-Unis ne sont pas fiables. Le chercheur bulgare Ivan Krastev a déclaré: « La plupart des Européens doutent désormais de la capacité des Etats-Unis à façonner le monde. Ce qui renforce l’opinion de nombreuses personnes sur le rôle d’acteur indépendant que l’UE devra jouer dans le monde. »

Comme l’ont souligné de nombreux analystes, Washington espère construire un front uni dirigé par les Etats-Unis afin de consolider l’hégémonie américaine, tandis que l’Europe espère renforcer son autonomie stratégique tout en renforçant l’alliance entre les Etats-Unis et l’Europe. Voilà le conflit fondamental entre les Etats-Unis et l’Europe.

L’un est à la recherche d’un vassal et l’autre recherche l’indépendance. Telle est la contradiction structurelle entre les Etats-Unis et l’Europe. Le changement de locataire à la Maison Blanche risque de ne pas résoudre cette épineuse équation. Combler le fossé du partenariat transatlantique est plus facile à dire qu’à faire.

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