La « guerre hybride » et la crise cachée de l'hégémonie américaine

CGTNF 2021-12-27 17:35:34
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Pour La Havane, la capitale cubaine, la perle des Caraïbes, le mois de juillet 2021 a été un mois troublant. Des milliers de Cubains sont descendus dans la rue et ont affronté la police, au cours de ce qui ont été les premières manifestations de masse antigouvernementale dans le pays depuis 1994.

Curieusement, avant la manifestation, le hashtag « SOSCuba » avait été vu sur les réseaux sociaux américains. Alors que de nombreux comptes fraîchement créés continuaient de transmettre des informations non vérifiées, les commentaires soutenant le gouvernement cubain ont été interdits.

Pendant la manifestation, les médias occidentaux ont diffusé activement des reportages biaisés. Certains, dont le New York Times, ont été jusqu'à transformer la photo d'un rassemblement pro-gouvernemental en un rassemblement anti-gouvernemental dans la légende, tout en omettant délibérément de côté les efforts du gouvernement cubain pour s'engager avec les communautés.

Après les manifestations, les politiciens américains ont continué à inciter les Cubains à se battre pour leurs « droits légitimes » par le biais d'émeutes, en détournant le cœur de la confrontation depuis le domaine économique, vers le domaine idéologique.

Sous la pression, le premier secrétaire du Parti communiste cubain et président de Cuba, Miguel Díaz-Canel, a affirmé sans ambages que les États-Unis avaient financé et incité les troubles. Il a ainsi appelé le peuple cubain à descendre dans la rue pour « défendre » la révolution.

De fait, ce n'est pas la première fois que les États-Unis interviennent dans les affaires intérieures de Cuba. Au cours des soixante dernières années, le blocus économique de Washington a mis Cuba en difficulté économique constante. En parallèle, les États-Unis financent depuis longtemps des forces antigouvernementales sur l'île, et tentent de susciter des troubles sociaux au nom de la promotion de la démocratie. Le but étant de renverser le gouvernement en place, et d'installer des intermédiaires pro-américains.

Cet « été havanais » mis en scène par les États-Unis est une révolution colorée typique. Ses objectifs et ses modèles sont de plus en plus connus de nos jours. Néanmoins, ses dommages sont généralement sous-estimés, car la confrontation militaire est rarement impliquée. La révolution colorée est une forme de guerre. Elle est une composante importante de la guerre hybride de l'Amérique – et le principal instrument pour maintenir l'hégémonie et la domination mondiale de l'Amérique dans l'ère de l'après-guerre froide.

Qu'est-ce que la guerre hybride ?

Le jeu de guerre de l'Amérique est depuis longtemps allé au-delà des conflits armés, dont les opérations militaires sont le pilier. Après la guerre froide, le pays, en tant qu'hégémonie unipolaire, est devenu encore plus audacieux dans la réalisation d'interventions à l'étranger et a développé ce qu'on appelle la « guerre hybride », qui utilise toutes les dimensions du pouvoir d'État et qui s'avère être plus secrète dans ses approches.

Cette forme de guerre implique des méthodes plus secrètes, plus trompeuses et plus dangereuses, comme la guerre du renseignement, la guerre politique, la guerre diplomatique, la guerre commerciale, la guerre financière, la guerre technologique, la cyberguerre, la guerre juridique et la guerre psychologique. Toutes ont le même but : attaquer des rivaux internationaux, déstabiliser des sociétés étrangères, renverser des gouvernements, et saisir les intérêts politiques et économiques.

Cette nouvelle forme de guerre varie selon son modèle et son intensité. Elle repose sur la force militaire de l'Amérique et sur ce que le pays a réalisé à travers des guerres conventionnelles, mais transcende le cadre traditionnel de la confrontation militaire avec son schéma et son intensité totalement dépendants des intérêts nationaux de la nation. Les conséquences désastreuses qu'elle entraîne, comme la panique, les troubles sociaux, les crises économiques, les divisions politiques et les guerres civiles sont supportées par la population du pays cible.

Une caractéristique importante de la guerre hybride américaine est la stratégie visant à briser l'ennemi de l'intérieur, c'est-à-dire à développer clandestinement une cinquième colonne dans le pays cible sous couvert d'idéologie et d'humanitarisme, dans le but de porter un coup au pays, ou même de l'écraser par des moyens non militaires.

D'un côté, Washington, en incitant à la propagande et avec un soutien financier, essaie de coopter des mandataires pro-américains parmi les élites politiques et les autorités du pays cible, de nourrir des organisations antigouvernementales au sein de la société, et de contrôler à distance les agendas politiques et sociaux du pays.

De l'autre, les États-Unis exercent une influence idéologique de longue durée pour éroder les valeurs traditionnelles et les normes morales parmi les habitants du pays cible, tout en renforcer leur identité avec les valeurs américaines. Le tout dans le but de faire croire au public que l'intervention de Washington est un « acte juste. », où une civilisation avancée essaie de changer une civilisation arriérée pour le mieux.

En temps voulu, Washington peut comploter avec cette cinquième colonne pour exercer une pression économique, politique, diplomatique et psychologique sur le pays cible, aggraver le malaise social et politique, provoquer des troubles de masse, et même renverser son gouvernement.

Si rien de tout cela ne fonctionne, l'armée américaine peut entrer de force dans le pays, au nom de la protection des droits de l'homme, de la démocratie et de la liberté commerciale ou de la lutte contre les armes de destruction massive.

Attaque sur tous les fronts

Au cours des 50 dernières années, les tentacules de la guerre hybride américaine se sont fait sentir sur tous les fronts. Les États-Unis ont joué un rôle dans presque tous les conflits, tous les chaos, et toutes les crises à travers le monde. Selon les statistiques de la Société chinoise d'études sur les droits de l'homme, entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 2001, sur les 248 conflits militaires survenus dans 153 pays et régions, 81 %, soit 201 conflits, ont été déclenchés par les États-Unis.

Le Moyen-Orient a sans aucun doute été la région la plus touchée. Des guerres en Irak, en Libye et en Syrie au printemps arabe, les États-Unis ont fait de la zone un terrain d’essai pour leur guerre hybride.

L'Asie centrale, en raison de son importance cruciale dans la géopolitique et les stratégies énergétiques, fût également un terrain de jeu pour la guerre hybride à l'américaine. Entre 2003 et 2005, les forces antigouvernementales en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizistan ont organisé des manifestations de masse à l'instigation des États-Unis, entraînant un changement de régime.

L'Amérique latine est une autre cible des guerres hybrides de Washington, où « l'automne de l'Amérique latine » orchestré par Washington en 2019, a conduit à un chaos encore plus généralisé que « l'été havanais ».

L'Asie du Sud-Est n'a pas été épargnée non plus. L'intervention politique de Washington dans des pays comme la Thaïlande, le Cambodge et le Myanmar n'a jamais cessé, entraînant parfois même des guerres civiles.

En ce moment, les principales cibles de la guerre hybride américaine semblent être la Chine et la Russie. Concernant la Russie, les États-Unis ont lancé des campagnes de propagande via les médias internationaux et les plateformes en ligne pour ternir son image internationale et perturber les idéologies sociales et politiques du pays. En outre, Washington a activement soutenu l'opposition politique et les groupes d'activistes dans la société pour identifier le moment propice pour semer le trouble, imposant diverses sanctions économiques pour détruire les systèmes économiques et financiers de la Russie.

Les tentatives de guerre hybride de l'Amérique contre la Chine, qui durent depuis des décennies, sont devenues de plus en plus agressives au cours des dernières années. De la répression des entreprises chinoises high tech, représentées par Huawei, au déclenchement unilatéral de guerres commerciales et technologiques, en passant par la brouille en mer de Chine méridionale au prétexte de la liberté à naviguer, les rumeurs sans fondement sur les droits de l'homme dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang et la région autonome du Tibet ; l'entretien et le financement des troubles à Hong Kong, à l'utilisation répétée de la question de Taiwan comme chantage, les États-Unis ont concocté une tactique de guerre hybride après l'autre pour tenter de déstabiliser la Chine, ralentir son développement et limiter son influence sur la scène mondiale.

Des crises qui se profilent

Le monde a trop souffert, trop longtemps, de la guerre hybride américaine. Alors que de nombreux pays et de nombreuses sociétés sont embourbés dans les conflits, Washington profite de leur misère.

Cependant, si les guerres hybrides ont aidé les États-Unis à contenir leurs rivaux, elles entament également les fondements de l'hégémonie américaine. Malgré tous les avantages à court terme que les États-Unis ont récoltés, ils se sont infligé autant de dommages sur le long terme.

Premièrement, la guerre hybride a affaibli le prestige international de l'Amérique et accentué la défiance envers elle. Alors que les guerres hybrides sont censées apporter la démocratie, les droits de l'homme et le progrès social, elles se terminent généralement par un déclin politique, des catastrophes humanitaires et une dégradation sociale. Cela vide, de fait, la base des valeurs américaines, faisant douter des promesses creuses et de la grande rhétorique de Washington.

Les guerres hybrides qui se multiplient indiquent que l'hypervigilance et l'abus du pouvoir de dissuasion sont la signature de l'existence internationale de l'Amérique et de sa mentalité dans le traitement des relations internationales. En conséquence, ses ennemis imaginaires sont bien plus nombreux que les vrais. Un tel sentiment d'insécurité ne fera qu'augmenter avec la chute de l'hégémonie américaine, ébranlant la confiance des Américains et polarisant davantage son paysage politique.

Deuxièmement, la guerre hybride a opposé de nombreux pays aux États-Unis et a séparé Washington de ses alliés. Partout dans le monde, on trouve des pays victimes d'interventions et de manipulations américaines ouvertes ou secrètes. La guerre hybride de l'Amérique, considérée comme une pierre d'achoppement pour le développement de ces pays, a suscité de vives critiques internationales et conduira inévitablement à une rancœur toujours plus amère.

Même les alliés occidentaux de l'Amérique prennent des mesures préventives pour se protéger. Selon les médias, en 2021, le ministère français de l'Éducation nationale a créé Le Laboratoire de la République. Il s'agit d'un groupe de réflexion basé sur certaines valeurs, qui s'est donné pour mission de protéger la France des révolutions colorées et d'empêcher l'importation du wokeism - une forme de politique identitaire qui dresse les groupes ethniques les uns contre les autres, en provenance des États-Unis.

De plus, voyant leurs propres intérêts internationaux lésés par les efforts de guerre hybrides de l'Amérique, ses alliés, à l'instar de l'Union européenne, ont commencé à rechercher une plus grande autonomie diplomatique et militaire, conduisant à la désintégration technique du système d’alliance hégémonique.

Troisièmement, la guerre hybride a engendré le terrorisme mondial et intensifié le choc des civilisations. Cela finira par se retourner contre les États-Unis. Comme le souligne le secrétaire du Conseil de sécurité de la Russie, Nikolai Patrushev, c'est bien la guerre hybride des États-Unis au Moyen-Orient qui a conduit à l'émergence du terrorisme et de l'extrémisme islamique.

Les attaques terroristes contre la nation américaine sont, en grande partie, le résultat du choc des civilisations provoqué par Washington. Ironiquement, les guerres antiterroristes les plus récentes des États-Unis, plutôt que de l'éliminer, ont propagé la menace à travers le monde. Nourri par les États-Unis, le terrorisme restera un fléau pour les États-Unis.

Enfin, perdue dans le choc des civilisations, l'Amérique se dirigera vers un destin encore plus incertain. Et c'est peut-être bien ce que ce « phare pour le monde », qui honore l'exceptionnalité américaine, craint le plus.

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