Commentaire : Que gagnent les Etats-Unis en empêchant la réalisation du projet de gazoduc North Stream 2?

Il y a quelques jours, la société énergétique allemande Uniper, l'un des partenaires européens du projet de gazoduc North Stream 2, publiait son rapport financier du premier semestre 2020, dans lequel il évoque le possible retard dans l’exécution du projet, voire son inachèvement au cas où les Etats-Unis imposeraient de nouvelles sanctions.

Et pourtant, ce pessimisme, on ne l’a pas observé chez le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas. Lors de sa visite, la semaine dernière, en Russie, le chef de la diplomatie allemande a laissé entendre que la politique énergétique de l’Europe « ne doit pas être décidée par les Etats-Unis » et que les sanctions américaines étaient « une mauvaise voie ».

Ce pessimisme de la société Uniper, couplé de l’optimisme du gouvernement allemand, rend les perspectives du projet North Stream 2 encore confuses.

Selon la conception du projet, ce gazoduc part de la côte russe à l'Allemagne en passant par la mer Baltique, avec une capacité de transporter jusqu’à 55 milliards de mètres cubes de gaz par an.

Fin 2019, alors que la construction était achevée à 90%, le constructeur suisse Allseas a cessé immédiatement les travaux après la menace américaine des sanctions, ce qui a provoqué la suspension de la construction. Pendant qu’on attendait l’accomplissement des 160 derniers kilomètres de pipeline, le département d’Etat américain décida, en juillet 2020, d’étendre ses sanctions à toutes les entreprises participant au projet North Stream 2, dont les propriétaires du projet, les investisseurs, les constructeurs, les compagnies d'assurance et les prestataires liés à l'importation du gaz naturel.

En effet, les sanctions de plus en plus sévères des Etats-Unis révèlent les calculs des politiciens américains. Empêcher l'Europe d'acheter du gaz bon marché de la Russie peut non seulement pénaliser économiquement ce pays producteur, mais aussi favoriser la vente du gaz de schiste à prix élevé à l'Europe, ce qui augmenterait la dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis. D’ailleurs les relations Russie-Europe en constante amélioration seraient gelées, et l’Europe contrainte de suivre Washington.

Indépendamment de leurs sanctions, il va sans dire que les Etats-Unis risquent de perdre en fin de compte.

Dans l’hypothèse où les sanctions ne seraient pas effectives, le projet sera réalisé, et les Etats-Unis en perdront la face.

Et au cas où les sanctions seraient effectives, tout le monde sera témoin de la voracité des Etats-Unis. Dans ce contexte, il faut s’attendre à la colère de la Russie qui verra son rêve d'améliorer sa situation économique et de réaliser une percée diplomatique se briser. D’ailleurs, les sanctions diviseront davantage l’alliance transatlantique. Récemment, 24 des 27 pays de l'UE ont protesté conjointement contre les sanctions américaines. Le contrecoup était si fort que Washington ne s'y attendait pas.

Une poignée de politiciens faucons de Washington sèment le trouble dans le projet North Stream 2 pour leurs propres intérêts politiques, ne sachant que c’est leur pays qui en payerait les conséquences. Les Etats-Unis pourront-ils en gagner vraiment quelque chose ?