Tibet : ange gardien des vestiges du royaume de Gugé
  2015-09-17 15:05:27  xinhua

Chaque jour, quand les premières lueurs de l'aurore éclosent à peine à l'horizon, Basangtserin, jeune Tibétain de 26 ans, est réveillé par des ronronnements de moteurs et le pouêt-pouêt du klaxon. Des dizaines de voyageurs et photographes amateurs, venant des quatre coins du monde, s'assemblent au pied d'une élévation de terre au bord du fleuve de l'éléphant, ou le Langqên Zangbo en tibétain, dans la préfecture de Ngari. Muni chacun de toute la panoplie du photographe, ils attendent patiemment l'instant où les premiers rayons du soleil levant touchent le sommet. Pour Basangtserin, une nouvelle journée de travail commence à cet instant précis.

Cette éminence rocheuse est un site du patrimoine culturel chinois à protéger en priorité, les vestiges du royaume de Gugé du Tibet. Basangtserin, l'un des trois employés du site, est diplômé de l'Université du Tibet, spécialisé dans la peinture traditionnelle bouddhiste tibétaine. Il s'est fait embaucher au concours de la fonction publique avec un brillant résultat.

"Après l'université, j'ai réussi le concours de la fonction publique. Comme j'ai eu un très bon résultat, j''avais à portée de main toutes les options d'emploi dans la région tibétaine. Mais je n'avais qu'un seul vœu : venir dans le district de Zanda dans la préfecture de Ngari. Parce que j'avais déjà les vestiges du royaume de Gugé en ligne de mire. Et ça a été. Trois mois après mon arrivée au poste dans le district de Zanda, j'ai fait une demande pour être muté au site même des vestiges du royaume de Gugé, où je peux apprendre de nouvelles choses sur les fresques. Voilà trois ans que je vis quotidiennement avec ces constructions et fresques, alors que mes parents, qui sont dans la préfecture de Lhokha, croient toujours que je travaille dans le district. "

D'une superficie de 720 000 m2, le site des vestiges du royaume de Gugé abrite des monuments établis par les descendants de la famille royale des Tubo. Le site a connu, avec une vingtaine de rois successifs, un règne féodal de quelque 700 ans, qui s'écroula au 17e siècle. Le site recèle une importante quantité de statues de Bouddha, de fresques et de grottes, laissant aux générations postérieures une marge d'imagination infinie et une mythologie abondante.

"Ma spécialité à l'université était la peinture traditionnelle bouddhiste tibétaine. Je suis passionné par le savoir-faire de la protection du patrimoine culturel. En travaillant ici, je peux apprendre beaucoup. Contrairement au Palais du Potala ou au Temple de Jokhang à Lhassa, où des héritiers des fresquistes sont encore vivants, la technique picturale qu'on pratiquait pour les fresques d'ici est déjà perdue, et elle n'existe plus que dans des livres d'histoire d'arts, sous le nom de l'école de Gugé. "

Actuellement sur le site, quatre sanctuaires sont ouverts au public. Ils sont le sanctuaire de Tara, ou la mère de la tolérance, le hall blanc, le hall rouge et le sanctuaire de Yanmantaka, ou le terminateur de la mort. Le grand hall au sommet est fermé périodiquement pour rénovation. C'est là qu'habitait la famille royale de la dynastie de Gugé. A flanc de montagne, des cavernes de différentes tailles sont ordonnées de haut en bas en fonction de la hiérarchie des esclaves qui y étaient tapis.

Tous les jours, Basangtserin et deux autres collègues emmènent les touristes traverser des cavernes et visiter les sanctuaires, et ils expliquent fidèlement les histoires derrière chaque statue de Bouddha ou fresque. Pour lui ces objets d'art et établissements, qui véhiculent l'histoire du Tibet et celle de l'architecture tibétaine depuis le 10e siècle, ne doivent pas être considérés comme de simples reliques à conserver, mais comme des témoins d'une civilisation de l'Humanité, une civilisation qui mérite de mieux se faire connaître.

"Nous ouvrons à neuf heures en été. Les mois d'août, de septembre et d'octobre sont la saison d'affluence. On reçoit chaque jour deux à trois cents touristes. Premièrement nous contrôlons strictement le nombre de touristes qui visitent les sanctuaires. Ainsi, l'effet que le CO2 exerce sur les fresques est maîtrisé, ce qui peut parer à la décoloration. Deuxièmement, nous fermons à clé les portes des sanctuaires, une fois que les touristes ont terminé leur visite. "

En marchant entre les sanctuaires de l'ancienne dynastie, Basangtserin a souvent l'impression de remonter dans le temps. Il partage ses connaissances sur la peinture traditionnelle tibétaine, le bouddhisme tibétain et l'histoire du Tibet, et ce, avec révérence.  

"Regardez, ces fresques se sont beaucoup décrépies, mais c'est naturel. C'était déjà comme ça avant l'intervention de l'Etat dans la gestion du site. Maintenant il est bien protégé. Regardez ces statues de Bouddha, elles sont toutes minces au niveau des reins. Les techniques sont très sophistiquées sur ce point. Un buste long avec une taille mince et des abdominaux saillants, voilà les caractéristiques principales des statues de Bouddha dans ce sanctuaire. Maintenant, regardez le plafond. Il est peint aux substances minérales. Toutes les fresques sont colorées telles qu'elles sont décrites dans les soutras, mais pas n'importe comment. Un fresquiste bouddhiste tibétain doit être en premier lieu un littéraire, qui connaît bien la littérature. Ensuite il va étudier le soutra de la mesure et les théories bouddhistes, pour avoir la foi. Il n'est devenu fresquiste qu'en dernière étape. Pour qu'une peinture bouddhiste tibétaine soit une œuvre complète, il faut inscrire au verso de la peinture les incantations du Bouddha et la soumettre à la dédicace. Beaucoup de spécialistes estiment que ce sanctuaire date de très longtemps, mais moi je ne le pense pas. Parce que j'ai trouvé sur des fresques un portait de l'initiateur de l'école Gelug, ou l'école des bonnets jaunes. On peut en déduire que ce sanctuaire n'est pas si vieux que ça. "

Aux yeux des visiteurs, Basangtserin connaît les peintures et statues tibétaines sur le bout des doigts. Il est capable de leur expliquer immédiatement le style, l'époque de création, voire le pigment utilisé, comme s'il avait assisté à la décoration du temple.

Ces cinq dernières années, les gouvernements central et local ont investi 260 millions de yuans dans la protection du patrimoine culturel de la préfecture de Ngari, dont font partie les vestiges du royaume de Gugé. Pour Basangtserin, une restauration d'envergure du site doit compter sur les investissements de l'Etat, alors que les petits travaux de réparation peuvent être financés par ce qui est collecté de ce qu'on paye pour les encens.

"La restauration du site est le travail de l'Etat. Le mien consiste à protéger ces objets d'art, à noter les fissures sur les murs, à étudier ces précieuses peintures et à veiller sur le site."

Lorsque les touristes sont partis, Basangtserin retourne dans son réduit d'à peine 6 mètres carrés. Un lit simple et une table à la fois pour manger et pour écrire y sont installés. Au coin des murs, se trouve une bibliothèque de fortune, remplie de livres d'histoire en tibétain, mandchou et chinois mandarin, à côté d'un poste de télévision emprunté et quelques cadres de peinture. Sur les murs, sont accrochés quelques-unes de ses œuvres de peinture tibétaine, un poster de la pop star taiwanaise Jay Chou et une guitare qu'un touriste lui a offerte en cadeau. Cela fait trois ans qu'il vit et travaille dans ce taudis. Chaque mois, il garde une petite part de son salaire pour les dépenses quotidiennes et envoie 4 000 yuans à ses parents.

"Nous sommes tous des jeunes, qui aimons la vie moderne. Qui pourrait aimer vivre dans ce trou ? Si je suis là, c'est pour ma spécialité. Durant mon temps libre, je lis et je peins. Parmi les livres que j'ai, il y en a que j'ai achetés à l'université avec mon argent de poche, il y en a que j'ai empruntés. Je vais une fois par semaine à la foire du district, avec le car, pour acheter des patates et des choux, ça suffit pour une semaine. J'en profite aussi pour m'acheter des gâteaux de riz gluant. Quand mon portable n'arrive pas à capter le réseau dans la chambre, je dois sortir pour téléphoner à mes parents et à ma copine. J'ai emprunté une télé à mon travail contre une reconnaissance de dette. Je peux la regarder quand il y a du courant. "

Diplômé de la spécialité peinture traditionnelle bouddhiste tibétaine, Basangtserin aurait pu peindre plus de tableaux pour gagner de l'argent, comme certains de ses anciens camarades. Un tableau nécessite quelques mois de travail, et le prix varie entre quelques milliers et quelques dizaines de milliers de yuans. Cependant pour Basangtserin, ce n'est pas son rêve. Il a vocation à être justement un protecteur et un chercheur du patrimoine culturel. Il rencontre de temps à autre des spécialistes en la matière parmi les touristes qu'il reçoit. Il apprend beaucoup avec eux. Quant à sa vie privée, il nous confie qu'il va se marier dans deux ans et que le mariage est décidé. Mais pourquoi ce délai ? Basangtserin :

"On n'a pas le choix. Elle est animatrice à la radio du district de Sa'gya. On s'est connus à l'université, elle était en langue tibétaine. Pour le moment, je ne peux pas abandonner mon travail. J'ai 65 jours de vacances par an, j'en profite pour aller la voir. Nous sommes très amoureux. Nous les Tibétains, nous ne sommes pas compliqués, le taux de divorce est très bas. Quand on dit que le mariage est décidé, alors c'est décidé."

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