Des Alpes au Sichuan, vers les sommets de l'Himalaya
  2014-04-29 16:37:14  La Chine au présent

Serge Koenig avec un panda au Centre de recherche et d'élevage des pandas géants à Chengdu.

Serge Koenig est Alsacien d'origine. Il découvre la montagne comme certains découvrent la musique, en tombant par hasard sur les livres de l'alpiniste autrichien Heinrich Harrer, auteur de La face nord de l'Eiger et Sept ans au Tibet.

En 1981, il est sélectionné pour participer à la première expédition occidentale pour une ascension par la face nord de l'Everest.

Il retournera trois fois sur le plus haut sommet du monde : en 1983 à nouveau par la Chine, en 1986 par la face népalaise et enfin, en 1988 pour diriger une importante expédition de guides chamoniards en direct avec France 2. Entre-temps, il était lui-même entré dans la prestigieuse Compagnie des guides de Chamonix, avant de devenir professeur à l'école nationale de ski et d'alpinisme il y a 17 ans et directeur des relations internationales de la Fédération française de la Montagne (FFM).

Il est aujourd'hui installé sur les piémonts du plateau tibétain dans la ville chinoise de Chengdu, capitale de la province du Sichuan, grande comme une France couverte à 40 % de montagnes. Depuis 2007, nommé vice-consul au Consulat général de France, il y pilote la coopération Alpes-Sichuan axée sur le sport, la valorisation de l'environnement et de la montagne aux touristes en Chine.

Je le rencontre à mon arrivée à Chengdu. Son bureau au Consulat me fait penser à une pièce issue d'une maison chinoise à la campagne : il se sert d'une vieille table de ferme comme bureau et m'invite à m'asseoir dans l'un des deux fauteuils chinois en bois sculpté placés en face. Au mur, des photos de sports de montagne : alpinisme, cascade de glace, ski, parachutisme… Dans un coin est boulonné un petit mur d'escalade : « Quand je suis empêtré dans des négociations avec les Chinois, c'est là-dessus que je me défoule », dit-il en riant. Nous passons tout de suite au registre du tutoiement, comme on le ferait avec un moniteur de ski ou un guide de montagne. Pas de chichi, pas trop de distance !

Sur la route du sommet

Pour Serge Koenig, l'idée d'associer les Alpes aux montagnes de Chine ne date pas d'hier. Alors qu'il est conseiller sports de nature et développement durable au cabinet du ministère des Sports à Paris (2002-2007), et que Beijing engage en 2000 sa politique pour le développement de l'Ouest et du Sud-Ouest de la Chine, les conditions sont réunies pour que son projet se concrétise. La Chine fascine Serge depuis tant d'années. Chengdu sera le camp de base idéal pour créer cette coopération autour du sport et de la montagne ! « Les plus belles forêts de montagnes ont poussé ici », dit-il avec des yeux brillants…

Avec un premier accord signé à Beijing en 2006, le projet a trouvé ses partenaires en France entre l'État (ministère des Sports, ministère des Affaires étrangères) et les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes. Il est chapeautée par un comité de pilotage et fonctionne avec un relais opérationnel en Savoie : le Cluster de l'Industrie de la montagne.

Les missions de Serge sont triples. Rattaché auprès du Consulat général de France, le statut de diplomate lui ouvre les portes du monde institutionnel : une dimension importante quand on sait le poids des pouvoirs publics en Chine dans les décisions.

Il mène en parallèle des actions de coopération généraliste avec des formations aux métiers de la montagne et passe beaucoup de temps sur les projets avec les Chinois à chercher les meilleures pistes pour les concrétiser. « C'est une façon de montrer que parallèlement aux affaires, nous sommes avec eux dans leur aventure », précise-t-il en joignant ses deux mains dans un geste symbolique.

La troisième mission, évidemment centrale, consiste à générer de nouveaux partenariats entre des entreprises françaises et chinoises spécialisées en tourisme de montagne et en développement durable. Alpes-Sichuan est en quelque sorte le trait d'union.

Enfin, le tout baigne dans le sport. « C'était faire le pari, explique Serge, que les sports de montagne, dans ce mixage de diplomatie, d'exportation technique et commerciale et d'aide au développement local, pourraient ouvrir les portes, faciliter la communication, faire connaître et apprécier localement cette coopération ». Et ça marche !

Une vingtaine de contrats ont ainsi été signés au bénéfice de PME et de TPE, dans les domaines de l'aménagement, de l'ingénierie et de l'équipement notamment, pour une enveloppe globale de quelque 25 millions d'euros.

En moto trial et sac à dos !

Dans ce qu'elle entreprend, la coopération Alpes- Sichuan a cultivé un style particulier, nature, direct comme on peut l'être en montagne, mais aussi disponible, et engagé autant sur les chantiers des projets que dans les réunions officielles, où Serge Koenig se rend systématiquement en moto trial. Le partage de son temps entre le terrain et les réceptions, entre les bivouacs en montagne, le sport et les bureaux directoriaux et politiques, a spontanément facilité les relations amicales, avec les paysans comme avec les autorités.

Ces différentes casquettes se sont avérées être un atout et ont permis de forger une solide confiance mutuelle.

Quand une délégation du gouverneur du Sichuan, dont la circonscription compte 90 millions de personnes, avait décidé en 2012 de se rendre en France, c'est vers Alpes-Sichuan que le gouverneur s'était tourné pour organiser une partie de son séjour et être accompagné dans les Alpes… Un week-end de visites et de rencontres politiques, qu'il voulait décontractées et sans cravate. Le style « nature » de cette coopération commençait donc à être partagé et apprécié en haut lieu. Serge lui avait même offert le piolet de l'amitié au sommet de l'Aiguille du Midi à Chamonix. Rien de plus normal puisque le gouverneur s'appelait Jiang Jufeng, ce qui signifie… « grand sommet ».

Cette proximité contribue inévitablement au succès de cette coopération « tourisme et montagne ». « Parce que les Chinois travaillent avant tout avec des amis, et ensuite seulement avec ceux dont ils reconnaissent la compétence », aime à rappeler Serge lorsqu'il explique les spécificités du marché chinois, parfois difficiles à appréhender, qui changent vite, avec des partenaires versatiles et des retombées incertaines.

Le cœur de son travail est justement là : guider les entrepreneurs français dans « ce monde chinois, si différent du nôtre, où il faut être toujours attentif à ses codes particuliers… » Les réussites et les échecs en affaires sont en effet sans cesse liés à ces questions d'ordre culturel et « il faut avoir toujours à l'esprit les intérêts partagés entre Français et Chinois, ce qui est le fondement d'une collaboration durable et de confiance », rajoute-t-il encore.

Quand Serge raconte son travail au quotidien, il explique comment, pour chaque projet, il observe, écoute, s'arme de patience et déroule… déroule sa pelote sans jamais savoir où et jusqu'où elle le mènera… Il évoque l'alternance de périodes d'action, d'étonnement et de périodes de blocage, de découragement. Pourtant, les Chinois le surnomment « Gao Ning » (Koenig en phonétique chinoise), devenu localement son nom usuel. Il signifie littéralement « l'altitude en sérénité » ! Même s'il avoue lui-même avoir parfois du mal à incarner le second terme : « Mais ma culture d'alpiniste à ne pas lâcher prise m'est souvent bien utile… »

Après sept ans de présence à Chengdu, le bilan d'Alpes-Sichuan est sa fierté. économiquement, en comparaison avec les grands marchés dans l'aéronautique ou le nucléaire, ce n'est évidemment pas grand-chose, mais dans ce secteur de la montagne, évanescent en Chine, quelques millions d'euros, ça n'est pas rien.

Un tremplin pour les jeunes

« Le tourisme, s'il est bien mené et maîtrisé, peut être au cœur du développement durable », me dit-il en entrant dans les détails. Un bon développement touristique génère en effet de nouvelles niches économiques et professionnelles en zone rurale, permet d'ancrer les paysans sur leurs terres, de créer un lien entre les villes et les campagnes, de revitaliser l'artisanat. « Il donne même un rôle plus important aux femmes » ajoute-t-il en précisant que ce sont elles qui sont en général les garantes du maintien des traditions locales. Parce qu'on peut aussi faire le pari que le tourisme pousse les acteurs économiques à prendre davantage soin de l'environnement naturel et culturel, à partir du moment où celui-ci attire des visiteurs, et donc, des ressources financières.

En 2010, la coopération Alpes-Sichuan avait contribué à développer un site d'écotourisme proche de Chengdu, avec la construction d'itinéraires de randonnée, de murs d'escalade, d'une passerelle géante au-dessus du vide et de la première via ferrata de Chine… Serge s'y était même beaucoup investi personnellement : « J'étais suspendu aux cordes avec les ouvriers du coin pour nettoyer la falaise. Pendant ce temps, les bureaucrates en chemise blanche demandaient à mon assistant ce que j'avais bien pu faire comme faute professionnelle pour que mes patrons me punissent ainsi, me contraignant à aller travailler avec les paysans… » dit-il avec un large sourire.

Aujourd'hui, ce site sur la commune d'un village traditionnel bimillénaire, Pingle, est dirigé par une monitrice d'escalade de Chengdu, Yang Xiaohua. Elle gère une petite équipe de fils de paysans locaux, devenus guides. Alpes-Sichuan a même permis à la jeune femme de suivre des stages en France avec l'UCPA et l'École nationale de ski et d'alpinisme pour se perfectionner. Le projet est devenu un succès. Beaucoup de monde vient s'y promener et escalader les week-ends, et les fermes de proximité se sont adaptées pour offrir des services de restauration aux visiteurs…

Serge et Yang Xiaohua m'ont donc amené sur la via ferrata de Pingle.

« L'expérience est toujours plus forte que les mots »

J'enfile mon casque et mon harnais, auquel le guide amarre la corde. Et me voici embarqué dans ce parcours sécurisé sur la falaise de grès rouge, à mi-chemin entre la randonnée et l'escalade, offrant le frisson du vertige sans le danger de tomber. Outre la pratique sportive, la via ferrata est aussi un excellent support pour permettre aux citadins de redécouvrir la nature et pour les sensibiliser à la beauté des paysages. Sous mes pieds en effet, s'étendait une magnifique forêt de bambous au panel de multiples couleurs vertes.

Arrivée à mi-chemin, toujours à 50 mètres au-dessus du sol, la via ferrata pénètre soudainement dans une zone où pendent des lambeaux de peinture délavée… Je questionne Serge qui me répond un peu fataliste, les yeux levés au ciel : « L'opérateur avait en effet peint 3 000 m² de falaise en pensant attirer plus de touristes. Je n'avais pas été prévenu. J'avais alors stoppé la coopération avec lui, car il transformait le site d'écotourisme en parc Disney… alors que la nature intacte est ici, proche de la ville, la vraie richesse ! » Pour autant, six mois plus tard, l'opérateur avait pris la décision de nettoyer la falaise… Belle preuve de la considération et de la reconnaissance du travail effectué. Techniquement et commercialement réussi, cet aménagement au Sichuan a été depuis imité en périphérie de Beijing avec l'aide d'un opérateur alpin, et d'autres projets de via ferrata sont désormais envisagés au Yunnan, à Yangshuo, à Lhassa…

Si le tourisme et les sports de montagne sont nés dans les Alpes il y a plus de deux siècles, les acteurs alpins de l'économie touristique ont aussi parfois été plus attirés par les sirènes de l'argent que par le progrès social et la valorisation durable de l'environnement. Ils ont donc accumulé beaucoup de succès, mais aussi des erreurs… « Ce qui fait d'ailleurs toute la force et l'authenticité d'une expérience à partager », aime à rappeler Serge Koenig. Mais pour autant, en Chine comme ailleurs, vivre soi-même l'expérience est toujours plus forte que les mots…

Les pratiques du tourisme dans les pays sont très différentes selon les us et coutumes. En Europe par exemple, l'accès à la nature est gratuit et seuls les services sont payants… « Ici, tous les sites exigent l'achat d'un billet et ça ne participe malheureusement pas au développement des pratiques sportives pour les jeunes et les passionnés », explique Serge, qui pense que la liberté et la gratuité des loisirs attirent plus de visiteurs, lesquels dépenseront davantage leur argent dans les services d'hébergement, de restauration et de commerces locaux. « Il faut les inciter à rester plus longtemps et à revenir… », rappelle-t-il. L'essentiel d'un commerce touristique durable est bien dans ce principe d'attirer, de garder et de fidéliser. Mais réussir à adapter les savoir-faire français, en les imaginant ailleurs, avec d'autres gens, d'autres cultures, d'autres attentes, est aussi l'un des défis à relever pour Alpes-Sichuan.

Perspectives futures pour le marché des montagnes chinoises

Après un bon repas dans un restaurant au bord de la rivière de Pingle, sur le plancher des vaches, Serge m'expose les perspectives d'avenir pour ce marché de la montagne. Et il semble très confiant. Les citadins, de plus en plus nombreux à vivre dans des environnements pollués, bruyants, surréglementés, vont de plus en plus avoir envie de fuir vers la nature pendant les week-ends ou pour les vacances. Et la hausse du niveau de vie et du pouvoir d'achat en Chine le permettent. « Je suis convaincu que la valeur ''nature'' a un bel avenir en Chine », dit-il.

12 000 clubs de sport d'extérieur par exemple ont été recensés en Chine en 2013, soit 30 % d'augmentation en un an. 150 millions de Chinois ont effectué au moins une randonnée en 2013, inévitablement en montagne pour certains. D'ailleurs les chiffres des équipementiers qui développent leurs produits dans ce secteur chinois des sports de nature le prouvent. Les VTT de Décathlon se vendent comme des petits pains. Les chaussures de sport aussi. Au début de cette année, cette enseigne française a par exemple agrandi son magasin à Chengdu, qui affichait le plus rapide taux de croissance au monde parmi les succursales de la marque ces trois dernières années. Décathlon souhaite y ouvrir 5 autres magasins.

La coopération Alpes-Sichuan a donc de beaux jours devant elle. Parmi les projets qui vont l'occuper en 2014, il y a le lancement des campings nature en Chine par la PME Huttopia et le partenaire Sichuan Tourism Group, une action qui répond parfaitement à l'incitation politique envers l'écotourisme. Un autre projet se concrétisera : l'ouverture du premier centre de l'UCPA au Sichuan, qui répondra pour sa part à la volonté de la classe moyenne grossissante d'accéder aux loisirs.

Les projets en effet ne manquent pas : Pingle, Pengzhou, Jiaojin, Xiling, Dêgê… Et puis il y a la coopération « historique » avec l'école des guides de montagne de Lhassa, que Serge soutient depuis 1999 au nom de la Fédération française de la montagne et de l'École nationale de ski et d'alpinisme. C'est une des rares collaborations étrangères dans la région autonome du Tibet et elle a permis de former une élite locale pour encadrer le marché croissant des expéditions en Himalaya. Ces jeunes villageois devenus alpinistes ont aujourd'hui gravi de nombreuses fois l'Everest. Les meilleurs, formés en France, avaient même hissé la flamme des JO de 2008 au « sommet du monde ». Une nouvelle convention devrait être signée en 2014.

Justement, la coopération Alpes-Sichuan reçoit de nombreuses sollicitations de collaboration, pas que de sites du Sichuan. à Yangshuo par exemple, ville du Sud de la Chine jumelée avec Annecy-le-Vieux dans les Alpes, Serge Koenig participe à la mise en place d'un trail croisé franco-chinois (course à pied en montagne) avec Amaury Sport Organisation. Le Club Med s'y est déjà installé, ainsi qu'un hôtel Accor. Et l'équipementier Poma va y construire une télécabine… Toujours à Yangshuo, Serge accompagne le bureau d'étude Dianeige auprès des autorités locales pour conceptualiser le « Paradis de l'outdoor ». C'est vrai que ce site, où avait été tourné le fameux film Avatar, présente un potentiel unique au monde pour le plein air.

Et Alpes-Sichuan pourra certainement, dans un proche futur, être impliqué dans un projet majeur pour la Chine : Beijing est candidat pour l'organisation des JO d'hiver de 2022. Ce serait pour Serge Koenig une forme de consécration, car Chamonix, où il habite lorsqu'il est en France, a été la première ville de l'histoire à organiser les Jeux d'hiver, en 1924.

Quand on connaît l'accroissement incroyable du nombre de voyageurs chinois autour de la planète, et le goût des Chinois pour le tourisme, promouvoir les destinations françaises est devenu une priorité. Attirer les Chinois en France, pas qu'à Paris, dans le Bordelais ou en Provence, mais aussi dans les Alpes. Serge le sait. 2014 a d'ailleurs commencé par une convention de marketing international entre la PME Interface Tourism et le Sichuan. À terme, peut-être les moniteurs de ski savoyards seront-ils amenés à parler mandarin et à offrir un petit panda d'or à leurs pupilles chinois... Adieu va ! Comme ils disent...

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