Nouer une amitié
En Chine, la première étape dans l'établissement d'une nouvelle relation d'amitié semble passive : on ne parle pas trop de soi pour ne pas s'attirer des malheurs si on rencontre des gens mauvais, on évite de trop dire ce que l'on pense pour ne pas comettre d'impairs. En général les Chinois adoptent une façon d'agir que l'on pourrait qualifier de "stratégie de la tortue" pour tester la sincérité des gens et savoir un peu ce qu'ils pensent. En France, on ferait l'inverse : on se montrerait très actifs et prêts à échanger tout de suite des points de vue, avec frictions s'il le faut, pour tâter le terrain.
La deuxième étape est active : si on trouve que la personne est sincère, et qu'il vaut la peine de construire une relation avec elle parce qu'elle est intelligente, ou bien "utile" dans le cadre d'ami d'affaires ; on peut lui parler plus ouvertement voire intimement. On l'invite à manger : chez soi si on s'en sent déjà très proche, au restaurant pour les autres. On peut lui demander son numéro de portable, son QQ (l'équivalent du MSN chinois) et on l'ajoute sur son compte Weibo, l'équivalent de Twitter.
En Chine, lier une relation amicale se décide en quelques instants, mais cela peut prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour développer celle-ci. Cela laisse le temps de bien réfléchir et de connaitre les gens. On évite ainsi des désillusions dues à la précipitation. Le fait que les Français aillent plus vite pour nouer une relation vient certainement du fait qu'ils sont moins nombreux que les Chinois : nous avons peut-être peur de laisser passer une occasion en étant trop lents ou trop passifs. D'ailleurs, beaucoup de Chinois en France ont du mal à se trouver des amis français car ils sont trop lents et observateurs, alors qu'en France la meilleure façon de se faire des amis, de nouer des liens, de faire connaissance ; c'est de parler, de se montrer.
Un apprentissage quotidien
Nouer une relation avec un ami n'est que le début d'un processus. Apprendre les goûts de ses amis, la façon de leur parler, leurs habitudes... Tout ce travail est à faire que ce soit en France ou en Chine. Mais en Chine, dans la façon d'aborder ses amis, il faut encore faire la différence entre les amis intimes, les amis d'affaires, les personnes neutres ou les amis des amis. Un ami intime est comme un frère, on peut donc lui parler de façon très directe et de tout, demander des choses que l'on ne demanderait que difficilement en France, comme le salaire. Cela peut parfois nous paraître un peu rude voire malpoli dans certains cas. La relation d'amitié en Chine, cela implique d'être prêt à tout mettre en commun.
Pour les Chinois, cette façon de faire est très chaleureuse : cela montre que la relation est vraiment profonde. Si je peux te traiter de "gros con", "d'abruti", ne pas être obligé de te dire "S'il te plait, merci, pardon, excuse-moi, désolé" , te donner des ordres ou bien utiliser tes affaires sans demander, c'est que je considère que tu es mon ami, il n'est pas nécessaire de séparer ou de mettre une distance, puisque le but de l'amitié c'est que la distance soit la plus courte possible entre deux personnes. Si on a le malheur d'être poli à la française parce qu'on est gêné d'être aussi "rude", on aura le droit à un sourcil levé et un air interrogatif en guise de réponse.
Il faut savoir qu'un service rendu équivaut à "une part de sentiment humain" : 一份人情 ; et qu'il faudra trouver un moyen de rendre un jour la pareille, suscitant à nouveau une obligation de la part de son ami, et créant ainsi un va et vient incessant de services rendus et de services à rendre, de dons et de contre-dons. C'est un perpetuum de sentiments et de relations en mouvement incessant qui s'installe, et qui rythme notre vie. Il n'y a pas besoin d'être trop pressé, les Chinois sont patients, et comme on est ami ce n'est pas le temps qui manque.
SÉBASTIEN ROUSSILLAT* est étudiant chercheur français à l'université normale du Shandong et a remporté le IVe concours « Pont vers le chinois » en 2011.