Des racines chinoises
On dit que les premiers Chinois sont arrivés sur l'île à bord des navires marchands conduits par Zheng He, qui a fait sept voyages dans « l'océan de l'Ouest » il y a plus de 600 ans, au début de la dynastie des Ming (1368-1644). Au milieu du XIXe siècle, après l'abolition de l'esclavage sur l'île, les colons français découvrent les qualités des travailleurs chinois : « Ils sont plus forts que les Indiens, plus attachés au travail et disciplinés que les noirs africains. Méthodiques, ils sont capables d'un meilleur travail. » Au début du XXe siècle, des gens de Shunde et de Meixian au Guangdong fuient les guerres, souvent avec toute la famille, et arrivent sur l'île pour gagner leur vie. Ce courant d'immigration a continué jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Né en 1928 en Chine, Ah-Loye Law-Wai est devenu le premier fonctionnaire français d'origine chinoise. Sa famille avait plusieurs magasins dans le Guangdong. Autour de 1900, son père faisait du commerce avec l'île de La Réunion et était resté à l'étranger près de la moitié d'une année. Au printemps 1939, quand les militaires japonais envahirent le Guangdong, Ah-Loye Law-Wai, alors âgé de 11 ans, était à la boucherie de son père. Il fut séparé des autres membres de sa famille, qui avaient dû s'enfuir à la hâte. Il vit de ses yeux des Japonais exécuter son oncle. Il sauta dans la rivière pour leur échapper. Par la suite, il se retrouva seul, mais après bien des rebondissements, il parvint à rejoindre sa famille à Hong Kong. Ils montèrent finalement à bord du dernier bateau avant la guerre, à destination de La Réunion.
« À l'époque coloniale, les étrangers à La Réunion n'avaient pas de sécurité sociale, ni de garantie de salaire. Leur permis de séjour devait être renouvelé annuellement. Les Chinois devaient faire attention dans tous les domaines, parce que, à la moindre erreur, ils étaient durement traités par les autorités, qui pouvaient leur refuser un permis de séjour et les expulser dans les sept jours », dit le médecin François Fock-Yee, un Chinois patriote à La Réunion. En 1927, quand les conflits entre les seigneurs de la guerre sévissaient en Chine et que l'économie était déprimée, mon père est arrivé à La Réunion pour servir de commis dans un commerce, comme beaucoup d'autres nouveaux arrivants. À cette époque, la vie était très difficile. On se levait à quatre heures du matin, on se couchait à 22 heures et on travaillait tous les jours, y compris le dimanche. Le seul jour de repos de l'année était la fête du Printemps. »
La maison de François Fock-Yee, vieille de plus de 200 ans, est une construction de style créole.
À cause de la barrière de la langue, les Chinois de la première génération, qui n'avaient pas de capitaux, ne pouvaient faire que de petites affaires avec leurs économies péniblement amassées. À cette époque, le transport était compliqué ; ils achetaient en gros des articles d'usage courant dans les villes pour les revendre
aux montagnards. C'est à partir des commerces – de gros et de détail – que les activités des Chinois de La Réunion ont débuté, partant des premiers commerces et épiceries de proximité, se développant jusqu'à détenir un temps le monopole du commerce alimentaire de détail, et s'étendant aujourd'hui à des secteurs tels que l'environnement, les matériaux de construction, la logistique…
Avec l'amélioration du contexte général et une nouvelle politique française d'intégration, de nombreux descendants de Chinois sont allés faire des études en France. Leurs parents savaient bien à quel point il est pénible de faire du commerce et encourageaient leurs enfants à exercer le métier de médecin, comptable ou fonctionnaire, pour mener une vie plus confortable. Aujourd'hui, le pourcentage des Chinois faisant du commerce est tombé à environ 10 %.