Alai, éminent écrivain tibétain
  2010-05-14 14:09:32  cri

Pour la plupart des gens, le mystère tibétain est incarné par « ses montagnes enneigées, son plateau et le bouddhisme tibétain ». Trente ans de vie au Tibet ont fourni à l'écrivain tibétain Alai beaucoup de matière pour les histoires fascinantes qu'il raconte. Des histoires à la fois extraordinaire et naturelles.

Alai est né en 1959 dans le village de Matang, du district de Maerkang, situé dans le Nord-Ouest de la province du Sichuan. Il est le fils d'une Tibétaine et d'un Musulman de l'ethnie Hui. Maerkang est une partie composante du plateau du Sichuan tibétain, où les tibétains mènent depuis toujours une vie dite mi pastorale mi agricole.

Lorsqu' Alai était petit, il s'en allait, pieds nus, mener paître les troupeaux sur les flancs de la montagne, comme tous les enfants de son village d'ailleurs. De par l'étendue du plateau et le silence qui y règne, sa perception du monde environnant est différente des autres. Il est particulièrement sensible à la nature.

Alai nous confie que dans son travail de berger solitaire, il dialoguait, enfant, avec chacun des arbres et chacune des herbes. On écoute Alai s'exprimer au micro de RCI :  « Petit, j'étais souvent seul, dans la prairie. Il m'arrivait de ne rencontrer personne pendant 4 ou 5 jours, mis à part les gens de ma famille. »

Alai de renchérir. Il devait bien parler aux moutons, aux pierres, aux herbes, à un oiseau qui se posait sur la branche, sinon il se serait enfermé dans un mutisme. Peu à peu il s'est rendu compte que tous les êtres vivants avaient un esprit, une vie bien à eux. Ils communiquent entre eux et ont même des sentiments, insiste notre écrivain.

Alai a grandi dans un petit bourg éloigné de tout, mais au beau milieu de terres vierges et de nature sauvage. La culture locale et ses innombrables légendes ont constitué pour lui une source d'inspiration inépuisable.

Voici venu le temps des confidences : « Un jour, je me suis assis devant la fenêtre, observant, au loin, un lopin de terre avec de jeunes pousses de bouleaux ,mon oreille était charmée en même temps par des chants de coucous du village. J'ai allumé mon ordinateur, et, d'un coup, les expériences accumulées depuis des années, grâce à l'attention que j'apporte aux histoires locales, ont surgi sous un aspect confus, mais vivant et prolifique. C'est comme cela que j'ai écrit sur mon ordinateur la première ligne de 'Lorsque la poussière est tombée'...comme si cela m'était dicté du ciel...

Ce roman « Chen Ai Luo Ding 尘埃落定» peut être traduit en français par « Lorsque la poussière est tombée ». Alai nous présente ce roman, au micro de RCI : « Je crois que de toutes mes œuvres, Chen Ai Luo Ding mérite d'être retenue comme le meilleur bilan de l'histoire tibétaine moderne ».

Le roman « Lorsque la poussière est tombée » fait revivre de manière complète l'histoire moderne de l'ethnie tibétaine, le Tibet sous le système de Tusi. Dont le héros est le fils « trisomique » d'un chef de tribu.

Le système de Tusi fut pratiqué dans les régions habitées par des ethnies minoritaires sous les pouvoirs des Yuan, de Ming et des Qing. La notion de tusi représente à la fois un système et un titre héréditaire que la cour impériale affectait à un chef de tribu pour qu'il puisse mieux régner.

En l'an 2000, l'œuvre écrite par Alai décroche le prix Maodun, le prix le plus prestigieux instauré pour récompenser les meilleurs romans historiques tous les quatre ans. Jusqu'à présent, Alai est l'unique écrivain de l'ethnie tibétaine qui a bénéficié d'un tel honneur. A présent, « Chen Ai Luo Ding » est diffusé dans tout le monde, il a été traduit en 16 langues.

Alai tente depuis toujours de retranscrire dans son œuvre le dernier siècle d'histoire vécu par les Tibétains, à travers l'évocation de leur histoire, de leurs légendes, de leur vie de tous les jours, et de leurs joies et peines.

Sous sa plume, que ce soit un tusi de la région de Kangpa, ou un artiste conteur, ou encore un pasteur tibétain, tous débordent de vie. En lisant ces personnages, on parvient à sentir l'ouverture d'esprit des Tibétains. On se dit que ce sont des gens de caractère et à l'humeur pétillante.

Malgré tout, Alai ne croit pas que ses œuvres soient la représentation exhaustive du peuple tibétain. Il insiste sur le fait que chacun est unique. Les besoins de chacun, matériels ou spirituels sont propres. Alai nous confie qu'il ne peut pas se mettre à la place des autres. Tout ce qu'il fait est d'inciter les gens à se rendre au Tibet, en les invitant à lire et à comprendre les regards des Tibétains. Continuons à écouter les propos d'Alai : « Tous les livres que j'écris ont pour but de comprendre ce genre de regard. De comprendre une culture, une ethnie. Tout ce que je fais est dans cet optique. Du moins, j'essaie de m'y coller. »

Alai a fait plusieurs métiers dans sa vie. Il a été agriculteur, ouvrier hydraulique et conducteur de tracteur. A la reprise de l'enseignement supérieur, il est admis par une école normale. Au terme de son cursus, il devient enseignant à la campagne.

En 1997, il quitte la steppe Aba, où il a vécu une trentaine d'années et se rend à Chengdu, du Sichuan. Là-bas, il devient rédacteur de la revue « Monde de la Science fiction », où il travaille pendant une dizaine d'année. Rédacteur, il est promu au grade de rédacteur en chef, et puis chef de la revue.

En 2009, il publie son roman « La vie du roi Gesar », qualifié de « portrait du cœur » du peuple tibétain. C'est une adaptation de l'épopée du « Roi Gesar ». Le roman d'Alai décrit deux histoires en parallèle, l'une est consacrée aux exploits réalisés par le roi Gesar pour chasser le mal et étendre le territoire. Et l'autre est consacrée à la vie de Jinmei, un artiste, un conteur de l'épopée du roi Gesar. Un personnage fictif, portrait condensé de la vie, de la nature et des sentiments des innombrables conteurs qu'il a rencontrés. Alai : « En écrivant 'la vie du rois Gesar', j'ai adopté une attitude différente que celle que j'adopte habituellement. Dans la steppe où j'ai pu rencontrer une centaine de conteur comme Jinmei, l'histoire du roi Geser est très répandue. »

Et Alai de souligner, « La vie du roi Gesar » ne s'est pas écrite en six mois. Il lui a fallu trois années de préparation, pendant lesquelles il a passé le plus clair de son temps à suivre les conteurs dans leur déplacement, à boire leurs paroles, à observer leurs gestes et à les apprivoiser eu quelque sorte.

Alai nous confie qu'il est quelqu'un de sensible, d'optimiste. On retrouve souvent ce trait de caractères dans les personnages qu'il crée de sa plume.

Par exemple le jeune seigneur «trisomique » dans le roman « Lorsque la poussière est tombée », ou celui du dévoreur de livre Dase, dans « Kong Shan » - montagne vide - ou encore celui du conteur Jinmei dans « La vie du roi Gesar ». Tous vivent dans un environnement poétisé. Ils sont tranquilles et sereins. Mais, ils ne perdent pour autant leur dignité et leur sens des responsabilités. Alai : « Inconsciemment, je transmets mes traits de caractère aux personnages que j'invente. Prenons le cas du jeune 'trisomique' et de celui du secrétaire dans 'Lorsque la poussière est tombée'. »

Selon Alai, la façon d'agir du jeune 'trisomique' représente en quelque sorte sa perception et son attitude à l'égard du monde. Quant au secrétaire, il fait preuve de dignité et assume ses responsabilités. Chez Jinmei, on voit prendre forme les autres traits de caractère de l'auteur.

A partir des années 1980, Alai se met à écrire. Il publie successivement le recueil de poèmes « Suomo He » - la rivière Suomo, les romans « Lorsque la poussière est tombée », « Kong Shan » - montagne vide, et enfin « La vie du roi Gesar ».

A vrai dire, Alai n'est pas très prolifique comme écrivain. Mais chacune des œuvres qu'il écrit est un chef d'œuvre. On lui demande ce que lui apporte la littérature :  « Je crois que la littérature me permet d'étudier à fond les possibilités relatives à mes sentiments et à ma vie personnelle. Je pense souvent au fait que comme tout le monde, je suis programmé pour vivre quelques dizaines d'années seulement. Ecrire est pour moi un moyen de vivre plus qu'une vie. Dans un espace physique, dans un état où je n'écris pas, j'ai une vie comme les autres. Mais grâce à la création littéraire, je peux avoir une autre vie, un autre monde à portée de mots. J'ai une vie, une expérience qui sont différentes des autres. »

A présent, Alai est président de l'Association des écrivains du Sichuan. Mais dans la plupart des cas, il prend sa voiture et se rend dans des zones habitées par des Tibétains. Il retourne souvent dans sa région natale pour voir ses parents et ses amis. Il continue à écrire, à se faire le porte-parole des Tibétains.

(Yannine) 

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