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Le Parlement européen a adopté le 14 février à Strasbourg le rapport d'enquête final sur l'affaire des « prisons secrètes » de la CIA. Selon ce rapport, des avions de la CIA, transportant des personnes suspectées de terrorisme, avaient survolé des pays membres de l'Union européenne ou s'y étaient posés entre 2001 et 2005. Pendant la même période, les Etats-Unis avaient installé des « prisons secrètes » dans plusieurs pays de l'Europe.
La commission provisoire chargée d'enquêter sur cette affaire a soumis le 23 janvier au Parlement, après un an de travail, un projet de rapport final. On constate que le rapport adopté mercredi est truffé de dizaines d'amendements qui l'édulcorent quelque peu. Il confirme qu'entre 2001 et 2005, au moins 1245 vols non déclarés de la CIA ont transité par l'espace aérien européen ou fait escale en Europe, et que plusieurs d'entre eux ont servi au transport des suspects. Il est notamment indiqué que, parmi les pays impliqués figurent l'Allemagne, le Royaume-uni, l'Italie, l'Irlande, l'Espagne, le Portugal, la Roumanie et la Pologne, et que les trois premiers pays cités avaient fermé les yeux, enfreignant ainsi de façon flagrante la loi européenne sur les droits de l'homme.
D'après le rapport, il est impossible que des pays membres aient ignoré les survols des appareils de la CIA et certains de ces pays ont délibérément dissimulé des faits. Le rapport formule des critiques contre des officiels de haut rang de l'Union et les gouvernements de certains pays qui n'ont pas collaboré comme il se devait avec la commission provisoire. Il demande par ailleurs au Conseil européen, organisme décisionnel suprême de l'Union, de mener « une enquête indépendante » s'il l'estime nécessaire. Le rapport accuse l'établissement américain de renseignements d'avoir installé des prisons secrètes et de détenir illégalement des personnes suspectées de terrorismes dans des bases militaires américaines en Europe, appelant les Etats-Unis à fermer ses prisons à Guantanamo à Cuba et à rapatrier sans tarder les citoyens européens illégalement détenus.
L'adoption de ce rapport a entraîné des débats houleux et des divergences au sein du parlement européen. Les socialistes estiment qu'après le « 11 septembre », les services de renseignements américains se sont livrés en Europe à une série d'enlèvements qui témoignent des insuffisances des contrôles des services de sécurité européens. Le Parlement, toujours selon les socialistes, doit adresser un signal vibrant aux pays membres pour faire montre de sa préoccupation à l'égard de ces violations des droits de l'homme. Les conservateurs, quant à eux, soulignent qu'au cours de l'enquête, aucune preuve suffisante et convaincante n'a été apportée au sujet d'éventuelles prisons secrètes et qu'en conséquence aucun gouvernement ne peut être mis en cause. Aussi, ont-ils voté massivement contre le rapport.
De même, dans le rapport final, les critiques contre l'attitude passive dont a fait preuve le Royaume-uni dans l'enquête ont été supprimées sur l'insistance des députés travaillistes anglais. Sous la pression des sociaux-démocrates allemands, le ton acerbe des critiques vis-à-vis du gouvernement allemand a également été beaucoup atténué.
Il est surprenant toutefois que le rapport critique avec véhémence Javier Solana, secrétaire général du Conseil européen et haut représentant chargé de la politique étrangère et de sécurité, accusé de ne pas avoir fourni aux enquêteurs de la commission toutes les informations dont il devait avoir connaissance au sujet de ces « prisons secrètes ». L'Allemagne qui assume actuellement la présidence tournante de l'Union a plaidé en sa faveur, affirmant que M. Solana avait "offert une coopération dans les limites de ses possibilités".
De nombreux signes illustrent le fait que les trois principaux organismes européens, le Conseil, la Commission et le Parlement, ne sont pas parvenus à collaborer pour aboutir à une synergie sur l'enquête sur les « prisons secrètes » de la CIA. En outre, l'enquête a été difficile car elle met en cause les attitudes de la « Vieille Europe » et de la « Nouvelle Europe », celle qui comprend les nouveaux membres de l'Europe de l'est, à l'égard des Etats-Unis? Mais elle met en cause également la solidarité et les divergences au sein de l'Union ainsi que d'autres questions encore plus complexes. Le télescopage d'une multitude de facteurs politiques a ainsi privé l'Union européenne de la possibilité de mener une enquête de manière réellement approfondie.
Rappelons qu'en novembre 2005, la presse américaine et des organisations de droits de l'homme ont révélé que la CIA avaient installé en Pologne et en Roumanie des prisons secrètes pour y détenir des suspects importants. Cette révélation avait mis en émoi l'Europe tout entière. En janvier 2005, avec l'approbation du Parlement européen, une commission provisoire avait été créée pour mener l'enquête. En septembre dernier, le président George W. Bush avait reconnu la présence de prisons secrètes américaines à l'étranger. |
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