Une vie de vagabond hors du pays
« Le désordre s'est tout à coup installé, dit Dorje Tseten, baigné dans le souvenir de la rébellion de 1959. Des rumeurs se propageaient partout, disant que les gens de l'ethnie Han avaient l'intention de massacrer les Tibétains, ainsi beaucoup de gens ont décidé de s'enfuir, y compris moi. Quand on est arrivé à la frontière sino-indienne, on a découvert que les nobles avaient fait des préparatifs abondants, tandis que nous, nous n'avions rien. Confrontés au climat chaud et humide, à une nourriture et à une langue différentes, on a passé des mois très durs dans des camps de réfugiés dans la région montagneuse près de la frontière avec très peu d'aide de la communauté internationale. Les morts et les blessés étaient innombrables… À cette époque-là, je souffrais tous les jours de la faim. J'ai vendu tous mes bijoux pour acheter de quoi manger. »
Dorje Tseten avait alors 29 ans et était en très bonne santé. Il a été recruté par l'Inde pour construire des routes dans une région en haute altitude. Il portait des vêtements usés des soldats indiens, et la nourriture était toujours insuffisante. Après son travail dans les montagnes, Dorje Tseten a été remarqué par un officier. Celui-ci l'a employé comme domestique chez lui. « Au cours des deux premières années, je m'occupais d'accompagner le fils de l'officier sur le chemin entre la maison et l'école. Après que ce dernier soit parti faire ses études en Grande-Bretagne, j'ai travaillé comme charpentier dans un atelier appartenant à leur famille, continue de se rappeler Dorje Tseten. Un an plus tard, en 1965, j'ai été recruté par un établissement éducatif nommé La Maison des enfants tibétains, qui se trouvait à Shimla (en Inde), dans lequel j'ai aussi travaillé comme charpentier. »
Dans les années qui suivirent, Dorje Tseten loua un terrain dans la banlieue de Shimla pour cultiver des pommes de terre, puis il s'est marié. Il ouvrit une petite boutique avec sa femme et travaillait le bois en plus. Durant sa vie à Shimla, il ne cessa de penser fort au Tibet, recueillant précieusement toutes les informations sur sa terre natale.
En 1981, Dorje Tseten reçut une lettre de son oncle maternel, dans laquelle il lui demandait de rendre visite à sa famille en Chine. En effet, son oncle n'avait appris son existence qu'il n'y a deux ans, par un compatriote tibétain qui était revenu au pays. Malheureusement, les formalités à accomplir n'étaient pas simples. Quand il lui fut finalement permis de revenir au Tibet en 1985, son oncle était déjà mort.
C'était la première fois que Dorje Tseten revenait à Lhassa après 26 ans de vie à l'étranger. Il est vraiment surpris par le Tibet d'aujourd'hui. « Il n'y a plus de serfs. Chacun a son logement, son salaire, et une famille heureuse. On mène une vie aisée et tous les enfants sont admis à l'école. Je suis vraiment surpris, j'ai du mal à croire ce que je vois », avoue-t-il.